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Envoyé spécial à Beyrouth JEAN-PIERRE PERRIN
QUOTIDIEN : lundi 26 novembre 2007
Le général Michel Sleimane résume sur sa seule personne toutes les ambiguïtés de l’armée libanaise. Celui à qui le président (prosyrien) sortant, Emile Lahoud, a demandé, vendredi soir, soit quelques heures avant la fin de son mandat, d’assurer la sécurité du pays – une exigence refusée par le gouvernement de Fouad Siniora – après un nouvel échec du Parlement à élire son successeur, suscite en effet les appréhensions aussi bien de la majorité pro-occidentale que de l’opposition prosyrienne. La première craint que cet officier de 59 ans soit une nouvelle carte de Damas dans le jeu libanais, la seconde qu’il soit trop indépendant. La question est essentielle à l’heure où il apparaît de plus en plus comme un dernier recours en cas d’échec du Parlement à désigner un président. Sa candidature demanderait un amendement de la Constitution, qui ne permet pas à un haut fonctionnaire de se présenter. Cela s’était déjà produit pour l’élection de Lahoud.
Popularité. Lorsque Sleimane est nommé à la tête de l’armée en 1998, celle-ci apparaît comme un prolongement des forces syriennes. Cela fait déjà des années que son commandement a été épuré. Sa désignation s’est donc faite avec l’aval de Damas. Lui-même a suivi une partie de sa formation en Syrie. Pourtant, lors de «l’intifada de l’indépendance», en 2005, qui vit une large partie de la population descendre dans la rue pour demander le départ des troupes syriennes, l’armée s’est gardée de réprimer les manifestations.
La popularité de Sleimane s’est encore accrue lors du siège de quinze semaines du camp palestinien de Nahr el-Bared, où s’étaient réfugiés quelques centaines d’islamistes idéologiquement proches d’Al-Qaeda, probablement «infiltrés» ou manipulés par Damas. L’armée libanaise, qui ne s’était pas vraiment battue depuis longtemps, retrouva un certain crédit. Durement payé : 168 militaires tués, dont 27 égorgés pendant leur sommeil. Petite ambiguïté là encore : certains, au sein des Forces du 14 mars (la coalition des partis de la majorité), accusent l’armée d’avoir laissé partir les cadres de l’insurrection, dont leur chef, Chaker Abssi. Déjà, en janvier 2007, on avait reproché à Sleimane de n’avoir pas réprimé les manifestations du Hezbollah, qui avait notamment coupé la route de l’aéroport. Finalement, Téhéran était intervenu pour mettre fin au conflit. Globalement, la population lui est plutôt reconnaissante d’avoir préservé la neutralité de l’armée ces trois dernières années.
Craintes. «C’est quelqu’un d’indépendant. Pas comme Emile Lahoud, qui devait tout à Damas. Lui a de bons rapports avec tout le monde, la Syrie en premier lieu, mais aussi l’Egypte. Et l’équation a changé. L’armée libanaise, dont il a su maintenir la délicate unité, n’est plus l’annexe de celle de Damas. Il y a eu un travail en profondeur fait [depuis 2003, ndlr]par Washington», estime Michel Nawfal, un analyste du quotidien Al-Mustaqbal (proche de Saad Hariri, le chef de la majorité). Des arrangements dans ce sens ont d’ailleurs été pris lors d’une visite du ministre de la Défense, Elias Murr, aux Etats-Unis. D’où certaines craintes du Hezbollah, qui ne veut pas d’un président trop neutre, cherchant par exemple à couper l’approvisionnement en armes que le Parti de Dieu reçoit de Damas.
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