La chaîne satellitaire Al-Jazira a récemment diffusé dans son journal du soir un reportage sur les combats déclenchés le 20 mai dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr Al-Bared, dans le nord du Liban [où s’opposent l’armée libanaise et le groupe islamiste armé Fatah Al-Islam]. Sur un ton sensationnaliste, elle annonçait des “images exclusives tournées à l’intérieur du camp” afin de “montrer l’ampleur des combats et l’étendue de la souffrance des civils [palestiniens]”. Or il n’y avait pas l’ombre d’un civil dans le reportage diffusé par la chaîne. C’était au contraire une immersion parmi les combattants retranchés du Fatah Al-Islam, tirant sur l’armée libanaise et invectivant les “mécréants”. La caméra qui tournait ces images-là n’était de toute évidence pas celle d’un journaliste neutre, mais celle d’un supporter. Ce reportage est ainsi venu confirmer à nouveau qu’Al-Jazira entretient des liens troubles avec les forces extrémistes. Depuis qu’elle existe, la chaîne se fait leur porte-parole officieux et, comme elle l’avait déjà fait en Afghanistan, en Irak et en Palestine, elle souffle à nouveau sur les braises populistes.
Il faut dire que beaucoup de journalistes arabes sont embarrassés. Dès les premiers jours des combats à l’intérieur du camp, les médias se sont divisés pour déterminer qui, de l’armée libanaise ou du Fatah Al-Islam, devait être présenté comme l’agressé. Cela a largement empêché l’objectivité dans la couverture de l’événement. Certains ont passé sous silence les souffrances des civils, comme si, en en parlant, ils risquaient de saper le moral de l’armée libanaise ou de cautionner le Fatah Al-Islam. Al-Jazira a compris qu’elle pouvait se distinguer de ses concurrentes en centrant sa couverture là-dessus.
Or, s’il est vrai qu’il faut montrer les souffrances des habitants du camp, cela ne veut pas dire qu’il faille ne pas parler du danger que représente le Fatah Al-Islam et des raisons qui ont conduit au déclenchement des combats. Ainsi, Al-Jazira a omis de dire que le Fatah Al-Islam avait attaqué des soldats pendant leur sommeil. Elle a aussi omis de dire que le groupe a pris la population du camp en otage, l’a utilisée comme bouclier humain et a attaqué des convois humanitaires. Certes, tous les médias sont libres de choisir leur angle, mais assimiler les combattants du Fatah Al-Islam à l’ensemble de la population du camp est non seulement contraire à la vérité mais constitue un crime contre les civils palestiniens et contre le Liban tout entier. En se faisant le porte-parole des groupes armés qui pratiquent le meurtre et massacrent aveuglément, certains médias arabes continuent de jouer avec le feu.
Asharq al-Awsat