Il ne manquait plus au sunnisme politique libanais que l’assaut donné à l’armement palestinien pour parachever la rupture radicale et spectaculaire avec son discours idéologique traditionnel et avec trois quarts de siècle de son histoire.
Qui l’aurait cru ? Un Premier Ministre sunnite donnant son assentiment pour le bombardement d’un camp palestinien majoritairement sunnite, adossé à une ville depuis toujours réputée pour sa rigueur et de son observance sunnites. Jamais la mosaïque libanaise, éternellement rivée à ses poncifs, n’a connu une métamorphose aussi spectaculaire de l’une de ses composantes.
La communauté sunnite serait-elle en train de changer d’âme ?
Depuis la création du « Grand Liban » en 1920 et en dépit de leur engagement dans l’Etat naissant, au prix d’une reconnaissance du bout des lèvres par les maronites de l’arabité du pays, les sunnites n’ont jamais réellement admis leur « libanité ». En effet, leur « rêve » estompé d’un rattachement avec la Syrie a très vite été remplacé par leur adhésion totale au nassérisme et après la disparition de son fondateur, à l’arafatisme. Trois périodes historiques qui illustrent parfaitement leur refus d’une libanité acceptée à contrecœur.
Il aura fallu l’assassinat de Rafic Hariri pour que l’adhésion à cette libanité puisse enfin se libérer de son carcan idéologique panarabe et s’exprimer ouvertement. Pourtant, à y regarder de près, cette mue, longtemps restée invisible, trouve ses débuts avec la révision de la constitution, consécutive à la signature de l’accord de Taëf qui est venu rompre l’équilibre de l’attelage historique entre maronites et sunnites au profit de ces derniers.
Si cette adhésion à la libanité s’exprime aujourd’hui au grand jour, ses débuts remontent à l’édification, entamée dans les années 90, du fameux « Hariristan » dont la corruption est inlassablement dénoncée par Michel Aoun. Autrement dit, les sunnites ne sont réellement devenus libanais que le jour où ils se sont rendu compte qu’ils étaient en train de construire « leur » Etat, ou du moins l’Etat dans lequel ils croyaient tenir les leviers du pouvoir.
C’est ce qui permet aussi d’expliquer le désarroi actuel des maronites et leur répartition entre ceux qui se résignent à accepter le fait accompli (Samir Geagea) et ceux qui continuent à se battre (Michel Aoun) contre cette « usurpation » du pouvoir par les sunnites et pour le rétablissement du statu quo ante.
De ce point de vue, l’alliance ouverte de Michel Aoun avec les chiites et implicite avec les alaouites trouve dans ce contexte sa pleine justification. En effet si les sunnites continuent à profiter de la profondeur de « l’océan arabo-sunnite » pour poursuivre la construction de leur Hariristan, il ne restait à Michel Aoun que « l’alliance des minorités » pour matérialiser ses rêves d’une Reconquista du pouvoir par les maronites.
Vus sous cet angle, les enjeux du conflit actuel dans ses dimensions locales expliquent clairement les articulations entre l’endogène et l’exogène qui reviennent interminablement dans les propos des commentateurs. Bien entendu, les deux axes (irano-syro-chiite et occidentalo-arabo-sunnite) qui s’affrontent sont mus par des paramètres autrement complexes, mais ils trouvent leur traduction et leur cristallisation parfaites dans la « caisse de résonance » libanaise.
Pour un observateur cynique, le « laboratoire » libanais réserve toujours d’étonnants développements. Les belles surprises demeurent toutefois rarissimes. Elles s’évaporent toujours malheureusement dans un tourbillon de feu et de sang !
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