L’offensive sanglante perpétrée par le Hamas en Israël est la confirmation d’un messianisme anti-juif né il y a plus de mille ans : désormais talibanisée, la « cause » alimente une judéophobie strictement haineuse.
Hier comme aujourd’hui : le Palestinien sert aux Iraniens, au Hezbollah, aux Égyptiens, aux Algériens, aujourd’hui au Hamas islamiste, et rarement à lui-même dans tous les cas. D’ailleurs, dans le monde dit arabe, peu s’interrogent sur le timing et sur l’identité du mécène bénéficiaire des attaques du Hamas contre Israël. Ce qui importe, c’est de croire et de faire croire à une victoire. La cause palestinienne ? C’est une histoire collective d’héroïsme arabe où, à la fin, seuls les Palestiniens et les juifs sont tués.
Que reste-t-il d’ailleurs aujourd’hui de la « cause palestinienne » qui berça les jeunesses du monde dit arabe depuis presque un siècle ? Les islamistes du Hamas, les armées imaginaires de libérateurs médiatiques de la Palestine souvent bien installés dans un pays arabe, de préférence une monarchie du Golfe, la judéophobie enseignée dès l’enfance et l’inhumanité proclamée comme réponse sacrée et, enfin, les régiments d’intellectuels « arabes » pour qui « libérer la Palestine » c’est faire le procès de l’Occident et attendre de lui ce qu’ils n’exigent pas d’eux-mêmes. Voilà le bilan d’une longue guerre qui aujourd’hui perd son humanité, c’est-à-dire se racialise, se confessionnalise. Pour toutes ces raisons, les images des raids des brigades du Hamas en Israël n’offrent pas une victoire, comme hurlé partout dans le monde « arabe », mais une retentissante défaite. Ces vidéos qui montrent des civils ligotés, des femmes kidnappées, des enfants emprisonnés, des vieilles personnes baladées comme des trophées de guerre, sont désormais saluées, dans la « rue arabe », non comme un épisode de décolonisation, mais pour la confirmation d’un messianisme anti-juif né il y a plus de mille ans. Depuis presque une semaine, un violent frisson traverse les « influenceurs » de l’islamisme en armes ou en opinion, les fidèles que l’exaltation sauve de l’ennui dans leurs pays, les salles de café où l’on repasse en boucle ces butins médiatiques. Si le discours se veut – si faiblement – décolonial, on se croit surtout arrivé à la fin, tant recherchée, du monde : celle où le juif sera vaincu, et l’Occident avec lui, pour que règne le « royaume de Dieu » version minaret. Des régimes « arabes » – qui trouvent là l’occasion de crier victoire par la fable et de faire oublier les échecs locaux retentissants – aux citoyens ou aux intellectuels désœuvrés depuis les indépendances – et qui pensent revivre l’épopée sur le dos courbé du Palestinien –, tous ont crié au triomphe. Et, pourtant, c’est la plus terrible des défaites que nous vivons avec ces images du Hamas. Voilà en effet la « cause palestinienne » définitivement islamisée, confessionnalisée, devenue un espoir dément de fin de monde plutôt qu’un désir d’avoir un pays viable à côté du pays de l’autre. La voilà, cette « cause », transformée, ailleurs, en cache-misère des échecs autochtones dans les pays dits arabes. La voilà parée de sauvagerie légitime au nom de la loi du talion, la voilà déshumanisée par l’excuse de la vengeance. Car c’est une défaite par l’inhumanité. Quelle inhumanité donc ? Celle qu’on s’autorise au nom de la « cause », au nom de la « fin ». Et la « cause » perd du coup en images, en sympathie internationale, en sens, en bien-fondé, lorsqu’elle se présente sous cette forme de barbarie médiatique qui préfère le rapt d’une femme à la victoire sur une armée adverse. Une cause inhumaine parce qu’elle dope aujourd’hui une loi des opinions islamisées : on n’est sensible, accessible, qu’au musulman. Voici une croyance devenue le talon de la seule humanité tolérée, la seule espèce dotée d’une âme aux yeux de ses adeptes. Les autres, qu’ils soient juifs, occidentaux, chinois ou peuls, sont des « impies » qu’il est légitime de tuer, de violer et de capturer. La cause palestinienne vient d’être talibanisée. Elle était sacrée, elle dérape dans le mauvais sens de l’Histoire.
Bien sûr, on hurlera au scandale après la lecture de ces lignes. Et cela se comprend. Dans les pays dits arabes, libérer la Palestine c’est souvent rester chez soi et attaquer et lapider et excommunier celui qui fait un pas de côté face aux orthodoxies de l’affect et la doxa du « je suis avec la Palestine, dans son tort et dans ses raisons ». Libérer la Palestine, pour un Algérien, un Tunisien, un Marocain, un Égyptien, c’est attaquer ses pairs qui se réclament de la liberté d’opinion sur un sujet source de terreur éditoriale. C’est toujours plus facile d’être intolérant pour soutenir la vérité. Quant aux arguments des bien-pensants autochtones dans ce « monde à part » de l’arabité, ils sont toujours les mêmes (surtout quand on ne vit pas à Jénine ou à Ramallah, sous les bombardements) : c’est la loi du talion, c’est Israël qui a commencé, le monde est injuste avec les musulmans, l’Occident est partial, etc. Rien de plus facile, pour se dispenser de construire, de libérer son propre pays, d’humaniser sa croyance religieuse, que de se mobiliser en mode imaginaire pour « libérer la Palestine ». D’ailleurs, l’armée des libérateurs imaginaires y est cent fois plus nombreuse que les Palestiniens eux-mêmes.
Rien de plus facile, pour se dispenser de libérer son propre pays, que de se mobiliser en mode imaginaire pour « libérer la Palestine ».
Mais aujourd’hui ? La « cause » se perd, est perdue, du moins du point de vue de l’humanité. Ce qui avait représenté un dossier de décolonisation apparaît actuellement comme une affaire de messianisme religieux, de fabrication de fin de monde pour se soulager du devoir de vivre, d’exclusion de l’humanité (est humain celui qui est palestinien, musulman, pas les autres, ni les autres cas de décolonisation en litige), de judéophobie grossière et haineuse. Cela va du sommet des États aux opinions dans les salles de café. L’école, la misère culturelle, l’enfermement sur soi, l’islamisme qui a le monopole de la liberté d’expression dans les pays dits arabes : les défaites ont fabriqué une opinion monolithique ravageuse, stérile, qui ne permettra jamais la paix, la libération, la victoire, mais exclusivement la fuite en avant et le délire et la vengeance et la théorie du complot.
Aujourd’hui, « la Palestine » sous le Hamas et ses propagandes ne gagne rien. Elle perd les raisons humaines de sa résistance. Elle se talibanise, se mue en une guerre sacrée où l’on se soucie moins de vivre que de mourir en martyr. Elle se consacre comme une barbarie qui prétexte de la barbarie des autres en face.
Tout ce que je sais de ce qui se passe en Palestine et en Israël, ce sont les libérateurs imaginaires de la Palestine imaginaire, dans mon pays d’origine, qui me l’ont dit et répété et inculqué. C’est-à-dire leur opinion, leur rancune, leur désespoir, leurs espoirs et leur fuite en avant. Et tout ce que je constate, aujourd’hui, dans ces pays dits arabes, c’est cette misère, cette impuissance, déguisée en ferveur pour « la Palestine » et qui m’incommode par sa naïveté ou son calcul, me fait honte, me gêne depuis mon enfance et m’a toujours dicté une méfiance profonde envers l’enthousiasme et les causes sacrées.
Palestine, Israël. Deux cercueils ou deux États. On le croit, il le faut, mais là n’est pas le propos. En ce moment, dans l’immédiat, ce sont surtout les radicalités qui gagnent, les morts qui se comptent et se compteront de part et d’autre et ces images terribles d’Israéliens lynchés qui sont la défaite réelle de la « cause palestinienne ».