Neuf mois après avoir été libéré contre la basketteuse américaine Brittney Griner, en décembre 2022, l’ex-détenu commence une carrière « politique » en Russie.
Monotonie électorale russe : dimanche 10 septembre, lors d’un scrutin local entièrement sous contrôle, l’intégralité des vingt-six gouverneurs qui remettaient en jeu leur mandat ont été reconduits, avec un score minimal de 70 %. Pour rencontrer un peu de diversité, il faut se pencher sur les niveaux inférieurs du scrutin. Parmi les élus locaux fraîchement désignés, on trouve ainsi un visage inattendu, celui, reconnaissable entre tous à sa moustache fournie, de Viktor Bout.
Après quinze ans de détention aux Etats-Unis, ce trafiquant d’armes connu dans le monde entier au point d’avoir inspiré un film, Lord of War, avec dans son rôle l’acteur Nicolas Cage, est désormais député « d’opposition » du parlement régional de l’oblast d’Oulianovsk, modeste territoire situé sur les bords de la Volga.
Arrêté en Thaïlande en 2008, après avoir été piégé par des agents américains se faisant passer pour des membres de la guérilla colombienne des FARC, l’homme avait été condamné par un tribunal new-yorkais, en 2012, à vingt-cinq ans de prison. Il a pu revenir en Russie en décembre 2022, échangé contre la basketteuse américaine Brittney Griner – elle-même arrêtée à Moscou dix mois plus tôt, en février, en possession de cartouches de cigarette électronique contenant de l’huile de cannabis.
« Commencer quelque part »
Tout récemment Viktor Bout, âgé de 56 ans, est donc apparu sur la liste du Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR) pour les élections locales à Oulianovsk. Ce parti, dirigé jusqu’à sa mort, en avril 2022, par l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski, est formellement d’opposition, mais fidèle en tout au Kremlin. Il a pour tradition d’accueillir dans ses rangs des personnages incongrusà même de capter l’attention du public.
Dimanche, la liste LDPR est arrivée en troisième position avec 13,56 % des suffrages, assez pour offrir un siège de conseiller régional à Viktor Bout. Les communistes, en deuxième position, ont dénoncé des fraudes massives du parti présidentiel, Russie unie.
Discret, presque effacé, Viktor Bout avait justifié ce choix d’entrer en politique dans un entretien au New York Times, quelques jours avant le scrutin, par une volonté de « tout faire pour [s]on pays ». « Quand vous êtes absent pendant quinze ans, il faut bien commencer quelque part, expliquait-il. Prendre des responsabilités au niveau régional me permet de comprendre les problèmes, de rencontrer les gens. »
Tradition de parachutage
Dans cet entretien, l’ex-marchand d’armes expliquait n’avoir pas de lien avec la région d’Oulianovsk et n’avançait aucune proposition particulière. Lui-même reconnaît devoir se réadapter à la vie en liberté, disant par exemple tout juste commencer à comprendre le fonctionnement d’un smartphone.
Son parachutage ressemble surtout à une tradition désormais bien établie – une sorte de récompense pour les « héros » de retour de mission, en même temps qu’une revanche. Ces dernières années, d’autres personnalités russes recherchées ou emprisonnées par des pays occidentaux ont ainsi été mises sur le devant de la scène politique. C’est le cas, notamment, d’Andreï Lougovoï, suspecté dans le meurtre de l’ancien agent Alexandre Litvinenko, empoisonné au polonium en 2006 au Royaume-Uni, devenu député à la Douma fédérale, lui aussi sous l’étiquette du LDPR. Ou bien encore de Maria Butina, détenue quatorze mois aux Etats-Unis pour avoir infiltré des cercles politiques pour le compte de Moscou. Libérée en 2019, elle était élue députée de Russie unie en 2021.