Un millier de soldats ont occupé les lieux durant deux jours, faisant 12 morts et 118 blessés, le plus important raid depuis plus de vingt ans.
Les responsables du club social du camp de réfugiés de Jénine s’échinent, mercredi 5 juillet, à rétablir l’électricité dans le bâtiment. Le plus important raid israélien subi par les habitants depuis 2002 s’est achevé dans la nuit. Les familles des morts vont bientôt se rassembler dans la cour du club, pour y recevoir les condoléances de leurs voisins.
Un millier de soldats ont occupé les lieux durant deux jours, faisant douze morts et cent dix-huit blessés, la plupart par balle, selon le Croissant rouge palestinien. Une quinzaine de blessés demeurent dans un état critique. Un soldat israélien a été tué. L’eau et l’électricité sont coupées un peu partout. Dans la chaleur éprouvante, un voisin éponge délicatement la sueur au front de Jamal Haweel, l’un des patrons du Fatah à Jénine.
A 52 ans, M. Haweel a sorti son fusil d’assaut du placard, lundi. Durant deux jours, il a contribué à coordonner la résistance armée. C’est un vétéran de l’invasion de 2002, au cours de laquelle Israël avait détruit le camp en une semaine, causant la mort de cinquante-trois Palestiniens et de vingt-trois soldats israéliens. Cette fois, la résistance fut limitée : une partie des quelque trois cents militants armés du camp ont discrètement quitté les lieux dès lundi. « C’est une lutte inégale, et nous ne voulions pas que les Israéliens détruisent tout une nouvelle fois », explique M. Haweel.
Un autre vétéran des combats de 2002, Ahmad Barghouti, l’appelle par téléphone de la prison israélienne de Rimon, où il est détenu depuis vingt et un ans, condamné à de multiples peines à vie. « Les prisonniers écoutent des chansons à la gloire de Jénine », raconte-t-il. Ils saluent la survie des militants comme une victoire. Ils se moquent aussi de l’armée qui affirme avoir démantelé une bonne part des « infrastructures » militaires du camp et confisqué des armes.
Lutte armée pour seule politique
M. Haweel tente de préserver ici l’influence du Fatah, ce parti tiraillé entre le maigre pouvoir qu’il exerce au sein de l’Autorité palestinienne (AP), désargentée, sans perspective politique, et une base militante qui renoue avec la lutte armée. Cette nuit, de jeunes gens ont caillassé les forces de police de l’AP, réapparues en ville une fois les soldats israéliens partis.
Des militants ont aussi protesté devant le gouvernorat de la ville, parce que l’AP a arrêté, lundi, un militant venant de Tubas, qui tentait de rejoindre Jénine, une arme dans le coffre de sa voiture. « Personne n’a intérêt à ce que les gens pointent leurs fusils vers l’AP », prévient M. Haweel. Au matin, le numéro deux du Fatah, Mahmoud Aloul, a été hué durant les funérailles de « martyrs ». Il a quitté les lieux précipitamment.
Dans l’après-midi, des fonctionnaires internationaux des Nations unies, en gilet pare-balles bleu et mocassins, évaluent les dégâts causés par les bulldozers israéliens qui ont labouré en profondeur la rue principale du camp jusqu’au cimetière, déterrant des engins explosifs improvisés. Ailleurs, les Israéliens ont détruit et brûlé des maisons, des commerces, mais les habitants du camp se rassurent : ils avaient craint bien pire.
Le cimetière neuf, un vaste carré de murs chaulés, bâti en 2019, est désormais comble : plus de place pour de nouvelles tombes. Les couleurs des portraits des combattants tués il y a deux ans à peine ont déjà passé au soleil. Des résistants âgés de 20 ans traînent autour des sépultures. Ils ont tenté de combattre ces derniers jours, comme presque chaque semaine depuis 2022, au fil des raids israéliens. Ils se disent proches du Jihad islamique et forment une petite avant-garde qui incarne à bien des égards la résistance actuelle, par son mépris du pouvoir et des rivalités de factions, et sa logique guévariste : la lutte armée pour seule politique.
Ces jeunes gens sont « déçus » par leurs concitoyens, qui ont peu manifesté en soutien à leur combat, ailleurs dans les territoires. Jénine est un dernier bastion de l’insurrection armée qui s’est répandue à travers la Cisjordanie depuis 2022, et qui décroît lentement. « Les gens des grandes villes veulent vivre, sortir, s’amuser dehors. Ils ne sont pas motivés pour combattre », estime l’un d’eux.
Culture locale de résistance
Le camp est un îlot soudé de réfugiés, tous chassés de leurs terres en 1948, à la naissance d’Israël, comme la moitié de la population palestinienne d’alors. Ses 14 000 habitants, serrés sur un demi-kilomètre carré, se considèrent comme des marginaux en Palestine, unis par une culture locale bravache et résistante, par les destructions et par les deuils. L’armée israélienne cherche à briser cette solidarité. Elle y parvient dans certains foyers.
« Pourquoi Jénine devrait-elle toujours être le phare de la résistance ? », s’interroge ainsi Mahmoud Asadi, fonctionnaire au ministère de l’éducation, dans sa maison que des dizaines de soldats ont occupée durant deux jours : « J’ai vu la peur de mourir dans les yeux de mes enfants, quand les soldats sont entrés chez nous avec leurs chiens. Je ne veux plus revivre ça. »
Les Asadi sont une anomalie dans le camp. La famille n’est affiliée à aucun parti, elle ne compte aucun « martyr » ni prisonnier en Israël. Mahmoud veut trouver une nouvelle maison dans la ville de Jénine ou à la campagne. Aux voisins qui s’enquièrent de son état, il exprime son mépris pour l’Iran, parrain financier du Jihad islamique : « Ces gens qui sont assis confortablement à Téhéran et qui déversent de l’argent sur les factions du camp, pour que nous subissions une nouvelle invasion. »
Son épouse s’inquiète pour leur fils, Ahmad, 13 ans : « S’il décide de rejoindre les combattants, qui pourra l’en empêcher ? Ce sont des adolescents, ils ont en main des armes plus grandes qu’eux et quelle est leur stratégie ? Ils n’étaient pas nés en 2002, ils ne savent rien », affirme-t-elle.
A l’étage un voisin, Rachid Mohammed, ouvrier du bâtiment qui a appris l’hébreu sur les chantiers d’Israël, montre un détonateur d’explosifs et sa bobine de fil, abandonnés par les soldats, à l’aide desquels ils ont fait sauter un mur et une fenêtre, pour circuler à couvert d’un appartement à l’autre. En deux jours, Rachid, retenu prisonnier par les occupants, a eu le temps de leur parler : « L’un d’eux venait de ma ville, Haïfa [grande cité du nord d’Israël], que ma famille a fui en 1948. Je lui ai demandé pourquoi ils nous pourchassaient jusqu’ici. S’ils sont chez eux même à Jénine, pourquoi ne nous laissent-ils pas retourner là-bas ? »