Depuis le début de l’année, plus de 100 personnes ont été tuées dans des règlements de comptes entre gangs.
Comme une mécanique qui se serait emballée, le décompte des membres de la communauté arabe d’Israël tombés sous les balles des gangs mafieux ne cesse d’augmenter. Depuis le début de l’année, 109 Arabes israéliens ont été tués dans des règlements de comptes : c’est déjà autant que pour toute l’année 2022. La criminalité fleurit dans ces communautés sur fond de malaise identitaire et de chômage, dans un climat d’impunité favorisé par l’omerta et la méfiance à l’égard des institutions israéliennes. Faute de perspectives, beaucoup de jeunes Arabes israéliens choisissent les gangs et la promesse de l’argent facile.
Que ce soit dans le Néguev, au sud, dans les villes mixtes du centre ou sur la côte méditerranéenne, ce fléau n’épargne quasiment aucune des villes d’Israël où vit cette population. Mais, dans le nord du pays, Nazareth et les villes qui l’entourent sont particulièrement frappées. La rivalité entre familles mafieuses y alimente un cycle infernal. Rien qu’au cours de la dernière semaine de juin, elle a causé la mort de quatre hommes, dont un père de 61 ans et son fils de 26 ans. Cette violence se répand partout.
Les habitants de Jaffa-de-Nazareth s’en croyaient épargnés. Cette petite ville de la banlieue de Nazareth est peuplée d’environ 20 000 Arabes israéliens, musulmans à 70 %, chrétiens pour le reste. Il s’agit, selon son maire, Maher Khalilia, d’habitants plutôt aisés, bien éduqués et actifs. « Il n’y avait jamais eu de problème d’insécurité jusqu’à présent », assure, dans le bureau de sa mairie, ce géant à l’allure tranquille. Mais tout a basculé le 8 juin, à quelques pas de là.
Ce jour-là, sur le parking du laveur de voitures, en contrebas de la mairie, cinq hommes ont été abattus à la kalachnikov. « J’étais en train de sortir du bureau quand j’ai reçu un message sur mon téléphone portable. J’ai foncé et je suis arrivé avant les ambulances et la police », raconte le maire. Devant le spectacle des corps hachés par les balles, il réprime un haut-le-cœur. Mais il doit vite le surmonter : des lycéens, qui sortaient d’une école toute proche, ont été témoins de la fusillade et sont pris de panique. « Quand j’ai vu cela, j’ai compris que tout ce qui se passait dans villes palestiniennes (d’Israël, NDLR) arrivait chez nous », se souvient le maire.
À Jaffa-de-Nazareth, les langues ne se délient pas facilement : la peur ferme les bouches. Le maire refuse de se taire, bien qu’il ait reçu des avertissements on ne peut plus clairs. Ces dernières semaines, des mitraillages ont visé sa maison, alors que ses quatre enfants s’y trouvaient. Celle de deux de ses cousins et leurs voitures ont aussi été ciblées. Les mafieux, explique-t-il, s’intéressent de près au ramassage des poubelles de la ville. « Ils essayent de racketter l’entreprise qui s’en occupe, précise le maire. J’ai dit à l’entrepreneur de ne pas céder, j’ai demandé à la police de faire des patrouilles pendant la collecte des ordures, mais il n’y a que deux policiers affectés à ma ville, avec une voiture, ça ne suffit pas. »
Il dit ne pas voir de connexion entre le massacre du parking et les mitraillages qui l’ont visé. Mais il est très sévère avec les autorités israéliennes. « Gérer des violences dans les familles, des conflits de voisinage, je sais faire. Mais là, je suis confronté à quelque chose de plus grand que moi, de plus grand que les policiers dans la rue. Lutter contre ce type de crime est la responsabilité des dirigeants de la police, du gouvernement. Or, le problème, c’est que le gouvernement israélien ignore la société arabe. »
Ce reproche revient souvent dans la bouche des leaders de la communauté arabe : comment Israël, qui est capable de traquer ses ennemis dans le monde entier, qui parvient à retrouver en quelques heures les auteurs d’attentats commis en Cisjordanie, ne réussit-il pas à faire régner l’ordre à l’intérieur de ses frontières ? En filigrane, ils l’accusent de traiter ses membres comme des citoyens de seconde zone.
Les ravages de la criminalité dans la communauté arabe sont pourtant une véritable préoccupation en Israël. À la mi-juin, le gouvernement de Benyamin Netanyahou a annoncé la formation d’un comité ministériel pour les affaires arabes, présidé par le premier ministre lui-même. Netanyahou en a annoncé la formation en affirmant qu’il aurait pour objectif de « réduire l’écart » entre les communautés, mais surtout de « combattre le crime ». Il a annoncé l’implication du Shin Bet, une décision qui ne fait pas l’unanimité au sein même des services de renseignement intérieur, dont les capacités sont limitées et qui a fort à faire en Cisjordanie. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, est aussi sous le feu des critiques. Pour résoudre la crise, il a demandé, une fois de plus, la création d’une Garde nationale.