CAMILLE NEVEUX
Il était jusqu’ici inconnu du public occidental. Sa visite à Paris, le 15 mars, pour le quatrième sommet économique franco-arabe organisé dans les locaux du Medef, avenue Bosquet, était passée sous les radars, exactement ce que recherchait le dictateur syrien Bachar El-Assad. Jusqu’à ce que divers opposants, dont le Collectif pour une Syrie libre et démocratique, ne dénoncent cette semaine la venue sur le territoire français de Musan Nahas, proche du boucher de Damas, le jour même du 12e anniversaire de la révolution syrienne.
Lors de cette journée, l’entrepreneur de 60 ans, costume noir et badge autour du cou, a pris la parole pour se féliciter de cette « invitation officielle » lancée « sous les auspices de la présidence française » qui « représente un tournant important et majeur dans le retour des relations syriennes avec tous », selon des propos rapportés par l’agence de presse gouvernementale Sana et par la Fédération syrienne des chambres de commerce. En bon émissaire du régime, il a ensuite plaidé sans vergogne pour la « levée des sanctions unilatérales injustes » et invité les pays arabes et européens « à se rendre en Syrie et à y investir ». Avant de tenir, en marge de la conférence, « un certain nombre de réunions avec les délégations arabes », puis de se faire prendre en photo avec Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, et Estelle Brachlianoff, la directrice générale de Veolia Environnement. Deux clichés publiés sur sa page Facebook qui suscitent le malaise.
Car Musan Nahas n’est pas n’importe qui. Représentant la Fédération des chambres de commerce syriennes et membre de la Chambre de commerce de Damas, il détient plusieurs entreprises dans les secteurs de la finance et de la joaillerie, un business impossible à mener sans l’aval des services secrets syriens, les moukhabarat. « Son oncle, Saeb Nahas, est à la tête de Nahas Group, un empire de l’automobile et du tourisme fondé il y a plus de quarante ans », complète Zaid Al-Azem, activiste et avocat franco-syrien.
Sa puissante famille, d’obédience chiite, est soutenue par le régime de Téhéran, d’où son autre casquette d’agent en Syrie pour la Compagnie iranienne du pétrole et de secrétaire de la Chambre de commerce syro-iranienne. En 2020, l’homme de confiance du régime s’est également rendu en Biélorussie, pays ami, pour négocier la vente à Damas de pétrole, de blé et de farine, en plus de plaider pour la visite d’hommes d’affaires syriens à Minsk. « Il fait profil bas dans les médias, mais il a des liens forts à la fois avec l’Iran et avec le régime syrien », accuse Ayman Abdel Nour, ancien conseiller d’Assad aujourd’hui exilé aux États-Unis.
Selon ce membre historique du parti Baas, passé depuis dans l’opposition, l’homme serait arrivé à Paris « avec un visa Schengen délivré en 2020 et valable pendant cinq ans ». Il ne fait pas à ce jour l’objet de sanctions. « Nous ne connaissons pas ce personnage et n’étions pas au courant de la présence de la Chambre de commerce syrienne à cet événement, se défend de son côté Philippe Gautier, directeur général de Medef International. Quant à la photo avec Geoffroy Roux de Bézieux, elle n’était pas volontaire. » Dominique Brunin, le directeur de la Chambre de commerce franco-arabe (CCFA), organisatrice de l’événement, indique au contraire avoir reçu l’inscription du sulfureux homme d’affaires. « À notre surprise, celui-ci s’est présenté le 15 mars », feint-il de s’étonner. L’ancien ministre et député centriste Hervé de Charette, président d’honneur de la CCFA, prend, lui, moins de gants. « Il ne faut pas rester éternellement dans cette situation de rupture avec la Syrie, justifie-t-il. Il faut regarder l’avenir et voir comment reprendre contact à la fois politiquement et économiquement. »
La présence en France de Musan Nahas interroge d’autant plus que, au lendemain de ce sommet, une déclaration conjointe des ministères des Affaires étrangères français, allemand, britannique et américain rappelait avec fermeté la position de leurs gouvernements. « Nous n’avons pas l’intention de normaliser nos relations avec le régime du président Assad, pas plus que de financer la reconstruction pour réparer les dommages que ce régime a infligés tout au long du conflit, ni de lever nos sanctions », précisait le texte, rappelant que depuis 2011 « presque 250 000 Syriens ont été tués, pour la vaste majorité d’entre eux par le régime du président Assad ». Contacté, le Quai d’Orsay n’a pas répondu à nos questions.
« Nous sommes dans un processus de normalisation à bas bruit. De puissants réseaux aident Assad »FIRAS KONTAR, opposant
L’escapade parisienne de cet « économiste », comme le qualifie avec déférence la presse du régime, illustre en réalité la volonté récente du dictateur syrien d’ouvrir, grâce à des entrepreneurs fidèles, des canaux non officiels qui œuvrent à rétablir des relations avec l’Occident, et ce sans avoir recours à des personnalités politiques possiblement dans le viseur. « Le régime veut contourner les sanctions internationales et les embargos en utilisant les hommes d’affaires mais aussi des personnalités du monde de la culture et des médias, confirme l’activiste Zaid Al-Azem. C’est la stratégie dite “de la première dame”, car c’est désormais Asma El-Assad qui dirige les relations extérieures du régime. » La redoutable épouse du président, parfaite anglophone puisqu’elle est née et a passé une partie de son enfance au Royaume-Uni, connaît les forces et les faiblesses des pays à séduire.
Mais la communauté syrienne exilée en France veille au grain. En novembre, elle a fait annuler la venue du chanteur Houssam Juneid, auteur de textes à la gloire du président syrien et de son armée, qui devait se produire à Lyon. « Nous sommes dans un processus de normalisation à bas bruit, dénonce l’opposant Firas Kontar. Comment une personnalité comme Musan Nahas arrive-t-elle à obtenir un visa ? De puissants réseaux aident Assad. Les sanctions, elles, ne sont pas suffisamment dures. Elles sont là pour la forme, par souci moral. Mais pas pour nuire. »