La décision du président russe Vladimir Poutine de retirer le gros de ses troupes de Syrie a surpris à la fois l’Occident et le monde arabe. D’autant que son timing est curieux, au moment où les négociations de Genève entre le régime syrien et les factions de l’opposition sont lancées et où l’Arabie saoudite a annoncé la fin des manœuvres militaires appelées « Tonnerre du Nord » qui avaient regroupé des forces arabes et sunnites, dans le but de combattre le terrorisme.
En même temps, la décision russe aura forcément des conséquences sur le terrain syrien. C’est pourquoi elle est scrutée à la loupe par les pays occidentaux et ceux de la région, notamment par l’Arabie saoudite et par l’Iran. Au Liban, les milieux du Hezbollah se montrent prudents sachant que cette formation a envoyé de nombreux combattants en Syrie.
Pour certains milieux diplomatiques, la décision russe serait une manœuvre visant à montrer que Vladimir Poutine est le chantre de la paix, puisqu’à travers cette décision, il peut exercer des pressions sur le régime syrien pour le pousser à faire plus de concessions dans les négociations en cours. La Russie peut bien se permettre une telle initiative puisque c’est grâce à elle que le régime syrien est encore en place et a même repris l’initiative sur le terrain dans certaines régions de Syrie. Il faut toutefois préciser que le retrait des troupes de Syrie ne couvre pas la base maritime de Tartous et aérienne de Hamimim. C’est la raison pour laquelle des milieux diplomatiques occidentaux considèrent la décision de Poutine comme une initiative de pure forme, une sorte de lifting qui ne porte pas sur le fond. Cette opération a pour objectif d’embellir l’image de Poutine ternie par les campagnes de critiques lancées contre lui suite à son intervention militaire en Syrie.
Sur un autre plan, cette décision russe est aussi un message au président syrien Bachar el-Assad qui précise que l’intervention militaire russe était destinée à empêcher la chute du régime syrien, et non à entreprendre « la reconquête » de la Syrie. C’est donc désormais au régime syrien, renforcé par l’intervention russe, de se lancer dans le processus de négociation pour trouver une solution pacifique au conflit. Ce message est clair et il est en contradiction avec celui délivré par le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, qui, au cours de sa dernière conférence de presse, a catégoriquement exclu de discuter à Genève du sort du président Assad, une question qualifiée de « ligne rouge ».
Par cette décision, M. Poutine calme aussi les pays arabes qui n’avaient pas caché leur colère face à l’intervention militaire russe en Syrie. Enfin, il s’agit aussi d’un message clair à toutes les parties concernées de donner une véritable chance aux négociations et de transformer le cessez-le-feu en véritable trêve. Surtout que l’émissaire de l’Onu en Syrie a récemment annoncé que si le cessez-le-feu s’effondre, le dossier syrien sera transmis au Conseil de sécurité qui prendra alors les décisions nécessaires.
Sur un plan purement politique, des sources arabes installées à Paris révèlent que cette décision russe vise à permettre à la Russie de participer réellement à l’élaboration de l’accord final sur la Syrie, à la place de l’Iran. Les Russes veulent donc être les partenaires des États-Unis dans la solution. Ces mêmes sources estiment que la décision de Vladimir Poutine est un message des Russes à l’égard de l’Europe pour lui montrer qu’ils sont avec les négociations de paix et que leur intervention militaire en Syrie vise à contenir le conflit et à l’empêcher de déborder, ce qui aurait été néfaste pour l’Europe avec un surplus d’afflux de réfugiés. En dépit de ces interprétations, certains milieux croient que la décision russe est aussi une volonté de ne pas s’enliser dans les sables mouvants syriens.
Sur le plan libanais, la décision russe ne peut qu’avoir des conséquences que nul ne peut encore déterminer avec précision. Ayant été contraint de mettre un bémol à ses activités en Syrie à cause de l’intervention militaire russe, l’Iran pourrait décider de vouloir remplir le vide ainsi laissé. Mais en même temps, les combattants du Hezbollah pourraient être amenés à se retirer de Syrie si la trêve se consolide. De plus, si la décision russe n’a pas été coordonnée avec le régime syrien, celui-ci avec l’aide du Hezbollah pourrait recourir à la violence pour montrer que le terrorisme sévit toujours. Le Hezbollah pourrait-il se lancer dans une nouvelle aventure au Sud pour mélanger les cartes et créer de nouveaux rapports de forces au moment où les États-Unis vont se concentrer sur leur élection présidentielle ?
Autant de questions auxquelles il n’y a pas encore de réponse claire. Mais la crainte d’utiliser le Liban comme carte de pression sur les développements régionaux existe bel et bien. C’est pour cette raison que la communauté internationale, France en tête, met la pression sur les parties libanaises pour l’élection d’un nouveau président, qui serait « centriste », après l’échec des tentatives pour élire un président issu des rangs du 8 Mars.
Selon un diplomate occidental à Beyrouth, les développements en Syrie et la décision russe ont modifié les rapports de forces au Liban et retiré leurs chances aux deux candidats du 8 Mars, Michel Aoun et Sleiman Frangié. Il est donc urgent pour le Liban d’élire au plus vite un président centriste, pour préserver la sécurité et permettre à l’armée de lutter efficacement contre le terrorisme.