Si l’avant-dernier discours de Hassan Nasrallah a prouvé quelque chose, c’est bien l’impossibilité de trouver un quelconque compromis politique, au-delà de certaines limites, que seul le Hezbollah est en mesure de fixer. Le représentant de la wilayat al-faqih d’Iran (vicariat du juriste-théologien) a clairement fait entendre qu’il existe, au moins, deux souverainetés au Liban. Une souveraineté de premier plan, la sienne d’abord, à laquelle peut faire suite une souveraineté sous tutelle, celle du Liban et de son peuple. La mise en garde que Hassan Nasrallah a adressée au système bancaire libanais, ultime poumon du pays, ne laisse aucun doute en la matière, notamment sur sa détermination à jouer les Samson, s’il le faut, afin d’imposer sa volonté.
On aura compris que la trêve relative dont jouit actuellement le peuple libanais peut être remise en question à n’importe quel moment. Toute la classe politique aura également compris que nul ne peut espérer, pour le moment, le moindre compromis quant à l’échéance présidentielle. Dès lors, on peut se poser la question de savoir si la candidature de Sleiman Frangié, adoubé par le trio Hariri-Berry-Joumblatt, est un authentique compromis politique ou, tout au plus, une sorte d’accord circonstanciel entre pôles politiques ayant une certaine influence sur la vie publique et souhaitant ménager leurs positions et leurs intérêts personnels. Tout semble indiquer que cette candidature résulte d’un accord d’opportunités entre chefferies claniques, et ne manifeste pas le compromis salutaire, tant attendu, qui mettrait définitivement fin au climat de guerre civile que le Liban vit depuis le début du XIXe siècle.
La candidature Frangié, aussi sérieuse qu’elle soit, ne résout pas l’impasse actuelle, tant elle révèle l’incapacité du système-Liban à continuer à fonctionner. Ce système, et non le régime libanais lui-même, possède une puissance d’inertie redoutable. Ainsi, quiconque ose dénoncer la corruption se retrouvera, à un moment donné, bloqué dans son élan par le puissant obstacle des chefferies qui ont confisqué la représentativité confessionnelle.
On aimerait, par exemple, savoir ce que sont ces fameux droits spoliés des chrétiens en dehors du monopole et de l’hégémonie qu’exercent sur ces communautés les clans maronites. De même pour les chiites, dont les droits semblent se résumer à l’hégémonie du seul Hezbollah. De même pour les sunnites, avec le Mustaqbal. Idem pour les druzes et l’influence des Joumblatt. Tous ces artifices ne sont que prétextes pour poursuivre la guerre civile permanente. La candidature Frangié, n’en déplaise aux uns et aux autres, ne constitue pas une plateforme politique de réconciliation, du moins pas encore. Si le candidat présidentiable, quel qu’il soit, souhaite se présenter comme un homme providentiel, capable d’inaugurer une ère nouvelle, il ne lui suffit pas d’échanger des civilités courtoises avec des chefs de clan. Il lui faut d’abord s’engager clairement sur des options politiques et stratégiques de nature à garantir la sécurité du Liban au milieu du tsunami qui déferle sur le Levant. Ces options demeurent impérativement respectueuses des règles constitutionnelles existantes ainsi que celles de la légalité internationale.
1. Proclamer son appui à la déclaration de Baabda et ses conséquences logiques : la neutralité de l’État libanais par rapport à tout axe stratégique quel qu’il soit. La neutralité est la pierre angulaire du vivre-ensemble au Liban, sa raison d’être et son prérequis. Cela ne doit pas empêcher les chiites d’aimer l’Iran, les sunnites d’avoir leur cœur en Arabie, les maronites de continuer à croire que la France est leur mère naturelle et les orthodoxes d’idolâtrer Poutine comme un nouveau tsar imaginaire. Nul n’exige qu’il soit mis fin à des liens traditionnels, à condition que cela ne se fasse pas au détriment de la souveraineté et de la neutralité du Liban. C’est ainsi que procèdent les citoyens suisses.
2. S’engager clairement à appliquer les « accords de Taëf », voire les réformer si nécessaire. Cela implique de créer un Sénat donnant les garanties nécessaires aux groupes et aux communautés ; de libérer le Parlement, ainsi que l’administration publique, de l’hypothèque confessionnelle, source de toutes les corruptions et de tous les blocages institutionnels. Cela implique également son adhésion à une décentralisation administrative équitable.
3. Être en mesure de résister à toute volonté milicienne ou communautaire, qui souhaiterait partager avec lui les pouvoirs régaliens qui sont exclusivement ceux de l’État, surtout en matière de monopole de l’usage de la violence armée.
4. S’engager à faire de Baadba un espace de dialogue, dirigé par lui-même en tant qu’arbitre et non en tant que partie belligérante, et ce afin de faciliter l’élaboration d’une loi électorale pouvant renouveler l’establishment politique autrement que par transmission selon le lignage féodal.
Si un tel homme providentiel, peu importe son nom, est en mesure d’émerger de la fange politique actuelle, loin du petit jeu pervers classique, qu’il soit donc acclamé comme étrennes politiques d’un Liban enfin libéré de son cauchemar.