L’ambassadeur du Koweït, s’exprimant hier du Grand sérail à l’issue de la réunion entre les représentants des pays du CCG et le Premier ministre Tammam Salam (photo Dalati et Nohra).
Les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ne souhaitent pas prendre le Liban pour cible. Leurs mesures successives visent le Hezbollah, pas le pays du Cèdre.
C’est en tout cas ce qu’affirment les ambassadeurs de ces pays accrédités au Liban, qui justifient leur position en ces termes : le Hezbollah a établi son hégémonie sur l’État libanais et s’ingère désormais dans les affaires intérieures des pays arabes, et plus précisément ceux du Golfe. Le parti chiite, disent-ils, envoie ses combattants dans ces pays et assure un soutien aux composantes chiites locales afin qu’elles se soulèvent contre les régimes et fomentent des coups d’État, comme cela s’est produit avec les houthis au Yémen.
Les diplomates pointent ainsi du doigt une série de tentatives insurrectionnelles ou séditieuses menées par le Hezbollah en Arabie saoudite ou dans d’autres pays de la région, comme le Koweït, où un grand entrepôt d’armes appartenant au parti chiite aurait été découvert tout récemment. Cependant, ils affirment que l’objectif est de soutenir le Liban et son peuple, et ils soulignent leur attachement à la stabilité du pays. Aussi appellent-ils l’État et le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour que la prise en otage du pays par le Hezbollah prenne fin.
Les ambassadeurs du CCG indiquent par ailleurs que ce qui s’est produit a montré la solidarité des pays du Golfe, qui ont prouvé leur unité et leur capacité à faire face à toute agression sans passer par des intermédiaires. Ils précisent avoir décidé d’opter pour la confrontation face à tous ceux qui prennent la sécurité du Golfe pour cible. Les diplomates soulignent qu’il ne sera pas permis à l’Iran d’étendre son bras là où il le souhaite et d’étendre son hégémonie sur la région et la décision arabes ; c’est d’ailleurs pour cela que les pays arabes ont pris la décision de se battre contre « Téhéran et ses outils » partout dans la région.
L’un des ambassadeurs des pays du CCG accrédités au Liban précise toutefois que le Liban officiel et populaire n’a rien à voir dans ce conflit. La distinction est claire entre l’État libanais et le Hezbollah, et tout le monde sait quelle est la réalité de la situation libanaise, ajoute ce diplomate. Une initiative serait d’ailleurs déjà sur les rails pour trouver une solution entre Beyrouth et les pays du CCG. Plus d’une partie responsable serait intervenue dans ce sens – Paris notamment – pour tenter de décrisper la situation et de rétablir les relations entre Beyrouth et Riyad. Le chef de la section Proche-Orient/Afrique du Nord au Quai d’Orsay, Gérard Bonnafont, se serait rendu à cette fin en Arabie la semaine dernière. L’Égypte aussi déploie ses efforts pour ramener la situation à la normale et opérer des réconciliations en marge de la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères, qui est prévue aujourd’hui au Caire et à laquelle la France prend part pour discuter de la Conférence internationale de paix sur base de l’initiative arabe de paix. Une réunion préparatoire devrait avoir lieu à cette fin à Paris avant la conférence, prévue en mai dans la capitale française.
La participation du chef de la diplomatie française, Jean-Marc Ayrault, à la tête d’une délégation de hauts fonctionnaires du Quai d’Orsay à la réunion du Caire est particulièrement emblématique. Il s’agit d’une occasion pour tenter de donner un coup de frein à l’escalade dans les relations entre les pays du Golfe et le Liban. Une réunion symbolique pourrait même avoir lieu, sous l’égide du Caire, entre Gebran Bassil et Adel al-Jubeir. Le Premier ministre Tammam Salam a d’ailleurs donné ses directives à M. Bassil, concernant la nécessité de respecter la teneur du dernier communiqué du Conseil des ministres et la position de distanciation et de neutralité vis-à-vis du conflit syrien, exprimée dans la déclaration ministérielle et la déclaration de Baabda. Telle est la position du Liban à l’étranger. Un ancien responsable affirme d’ailleurs que c’est le fait d’avoir lâché la déclaration de Baabda et la politique de distanciation qui a conduit le Hezbollah à se transformer, in fine, en « organisation terroriste »…
Le Proche-Orient est aujourd’hui à la recherche des moyens d’effectuer la transition vers la phase des compromis. Les développements en Syrie, notamment les pressions exercées pour le maintien du cessez-le-feu et sa transformation en trêve permanente, ainsi que la tenue des négociations à Genève le 14 mars pour discuter d’une solution à la crise; les développements en Irak et l’appel du Premier ministre à prendre en considération les revendications sunnites et former un cabinet d’union nationale ; les négociations menées par une délégation houthie en Arabie saoudite; l’annonce par le président iranien Hassan Rohani de la visite d’une délégation politique de haut niveau en Arabie saoudite, avec des rencontres prévues au niveau des chefs de la diplomatie des deux pays…
Autant d’étapes qui laissent présager que la région se dirige vers la phase des négociations, ce qui devrait se répercuter positivement sur le Liban. Un débat interchiite entre le Hezbollah et le mouvement Amal aurait débouché sur la conclusion suivante : la bataille régionale et internationale menée contre le Hezbollah ne peut être contrée que par la participation à l’élection présidentielle et la relance institutionnelle. Le tandem chiite ne peut plus assumer la responsabilité du blocage. Il reste donc à s’entendre sur la morphologie de l’entente qui prendra forme, une entente devenue inexorable du fait de la pression régionale.