LIBERTÉS – UN MILITANT DES DROITS DE L’HOMME EMPÊCHÉ DE VOYAGER PAR LA SG
Après l’affaire des 14 ressortissants syriens expulsés vers Damas en dépit du bon sens et du droit humanitaire et international – affaire qui avait déjà soulevé un tollé au double plan local et international –, la Sûreté générale a frappé encore plus fort hier, en empêchant le responsable régional d’une ONG internationale, Aavaz, Wissam Tarif (37 ans), de prendre l’avion à destination d’Istanbul. Mieux encore, la Sûreté générale a prétexté une « décision administrative » pour saisir le passeport libanais de M. Tarif. Elle lui a enfin signifié qu’il devait « se rendre d’ici à trois jours à la section des renseignements de la Sûreté ».
Il convient de préciser que M. Tarif – qui multiplie les apparitions télévisées sur les chaînes satellites arabes pour rendre compte de la situation sur le plan des droits de l’homme en Syrie – et Aavaz sont connus pour l’aide humanitaire prodiguée à la population civile syrienne, victime de la répression menée par le régime Assad. Il y a quelques mois, une délégation de militants d’Aavaz qui tentaient d’acheminer de l’aide humanitaire à Baba Amr, à Homs, avait été exécutée par les militaires fidèles au régime d’Assad.
Le procédé est exactement le même que celui qui avait servi, en 2001, à la Sûreté générale du général Jamil Sayyed pour harceler le journaliste Samir Kassir, lequel revenait de Amman, où il couvrait le sommet arabe. De très mauvais souvenirs, qui datent du temps honni où la tutelle sécuritaire pesait de tout son poids sur l’ensemble du paysage politique libanais. Il avait été filé constamment par les voitures de la Sûreté générale.
Est-ce le même sort qui attend tous ceux qui osent désormais lever la voix contre les atrocités commises par le régime syrien et ses alliés? Qu’est-ce qui justifie donc cette violation flagrante des droits de l’homme à l’encontre d’un ressortissant libanais contre lequel n’existe aucune action en justice ? S’agit-il encore une fois de questions de pure procédure, comme l’indiquaient hier des sources politiques bien informées, selon lesquelles la Sûreté générale aurait fait valoir l’existence « d’irrégularités dans la situation du passeport » de M. Tarif et dans la manière qu’il aurait eu de renouveler son passeport ? Si c’est le cas, cela justifie-t-il de traiter de cette manière un ressortissant libanais qui se bat pour donner une image respectable de son pays, dans la lignée de l’héritage humaniste et droit de l’hommiste de plus d’un ? Est-ce une coïncidence – vraiment troublante, si c’est le cas – que l’homme en question, victime de cette irrégularité, soit un de ceux qui condamnent avec le plus d’acharnement les horreurs commises par le régime syrien depuis plus de seize mois ? Pourrait-on voir la même situation se présenter avec n’importe quel cadre du Hezbollah ou des associations qui y sont liées, par exemple, ou encore des partisans du régime ? Ou bien le général Abbas Ibrahim souhaite-t-il à travers cet exemple montrer qu’en bon fils terrible de son prédécesseur, il n’a que faire des voix locales et internationales qui ont exprimé leur choc à la suite de l’expulsion des 14 ressortissants syriens ? S’agit-il, mimétisme oblige, de trouver un nouveau Samir Kassir à traquer ? Et qu’en pense enfin le ministre de l’Intérieur ? Approuve-t-il ce genre de mesures ? En est-il informé ? Acceptera-t-il, lui qui n’y est certainement pour rien, d’être tenu responsable d’irrégularités commises au nom d’un légalisme procédurier – « les décisions administratives » –, qui étaient l’apanage de ce service sous la tutelle sécuritaire ? Autant de questions auxquelles il reviendra au lecteur de répondre par lui-même.
Il convient de préciser que l’association Journalistes contre la violence a condamné hier l’atteinte aux droits fondamentaux de M. Tarif dans un communiqué, évoquant « un incident dangereux qui rappelle le scénario suivi avec Samir Kassir ». « Comment peut-on (s’en prendre à) un militant de cette manière, sur base d’une décision administrative, sans donner les raisons qui justifient cet acte ? » s’est interrogée l’association, estimant que « le maintien de ce gouvernement constitue une atteinte à la Constitution et à l’entité libanaises ».
* Beyrouth
* * *
Affaire Tarif : réponse de la SG à l’article de Michel Hajji Georgiou
09/08/2012
Suite à l’article de notre collègue Michel Hajji Georgiou paru dans notre édition du 7 août concernant l’affaire du militant des droits de l’homme Wissam Tarif dont le passeport avait été saisi par la Sûreté générale et qui avait été empêché de se rendre à Istanbul, nous avons reçu de la Sûreté générale la mise au point suivante :
« La Sûreté générale a visiblement ces jours-ci les faveurs de votre journal. Malheureusement, à chaque fois qu’elle est mentionnée, c’est pour être la cible d’attaques, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont injustes.
« Avec tout le respect que nous portons pour tout combat en faveur des libertés et des droits de l’homme, nous ne pensons pas que le fait d’être militant dans une ONG humanitaire permet de prendre des libertés avec la loi et de commettre des irrégularités. M. Wissam Tarif est entré au Liban avec un passeport libanais périmé, il a été convié à régulariser sa situation administrative auprès des autorités compétentes au sein de la Sûreté générale. Mais il n’a pas souscrit à cette demande, préférant l’ignorer complètement.
« En ce qui nous concerne, l’affaire se limite à son aspect purement administratif, n’en déplaise à ceux qui, comme M. Hajji Georgiou, veulent lui donner une dimension politique.
« Quant au parallèle établi entre le cas de feu Samir Kassir et celui de M. Tarif, nous préférons ne pas répondre, car il s’agit d’un sujet à la fois délicat et dangereux, qui porte une accusation implicite d’assassinat contre la Sûreté générale comme elle l’accuse aussi de préparer d’autres actions du même genre. Nous porterons ces accusations devant la justice qui tranchera et mènera ses propres investigations sur le sujet. La justice pourra notamment vérifier s’il s’agit d’une préparation de l’opinion publique à un attentat contre M. Tarif pour en accuser ensuite la Sûreté générale.
« Ce procédé constitue une “violence” contre notre institution et une politique d’intimidation à notre égard. L’association Journalistes contre la violence qui affirme condamner toutes les agressions les autorise-t-elle contre notre institution ? »
Messieurs, si la liberté d’expression est désormais un crime, comparaître devant la justice est un honneur pour tout journaliste qui se respecte. Cette rhétorique de la Sûreté générale serait-elle d’ailleurs, sous le couvert d’accents victimaires prononcés, une flagrante – mais vaine – intimidation supplémentaire à l’encontre des journalistes et des activistes des droits de l’homme ? L’opinion publique, véritable arbitre, jugera, in fine. L’on ne peut qu’être ébahis par ce nouveau penchant chez la Sûreté de menacer de poursuites sur base d’insinuations, d’interprétations saugrenues, de procès d’intentions pour le moins fantasques. L’occasion ou jamais de leur conseiller l’excellent 1984 de Georges Orwell et sa « police de la pensée »… avec, à la clef, qui sait, une nouvelle idée de mise à l’index…
M.H.G
NDLR :
Nulle part dans l’article de Michel Hajji Georgiou il n’est question d’assassinat. Dans le parallèle avec le cas de feu Samir Kassir, il n’est fait état que de harcèlement et de filature dont avait été la cible Samir Kassir. Il est donc particulièrement surprenant que la direction de la Sûreté générale évoque une « accusation implicite d’assassinat contre la Sûreté générale ». Il suffit de lire l’article pour réaliser sans difficulté que rien dans le texte ne permet d’insinuer une telle accusation. De même qu’il est tout aussi stupéfiant de relever que la SG a perçu dans l’article de M. Hajji Georgiou une « préparation de l’opinion publique à un attentat contre M. Tarif pour en accuser ensuite la Sûreté générale » ! L’on ne peut que s’interroger sur les passages de l’article qui permettent de faire une quelconque allusion à un tel éventuel attentat… La phrase « est-ce le même sort qui attend tous ceux qui osent lever la voix contre les atrocités commises par le régime syrien ? » fait référence – c’est l’évidence même – à la phrase précédente qui évoque simplement la filature dont avait été la cible Samir Kassir.