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Yémen, la guerre oubliée

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Le 7 avril 2016, les immeubles dévastés de Taez, troisième ville du Yémen, théâtre d'affrontement entre les milices chiites Houthis et les forces loyalistes du Président Abd Rabbo Mansour Hadi
Le 7 avril 2016, les immeubles dévastés de Taez, troisième ville du Yémen, théâtre d’affrontement entre les milices chiites Houthis et les forces loyalistes du Président Abd Rabbo Mansour HadiAFP PHOTO / AHMAD AL-BASHA

Michael Knights chercheur au Washington Institute explique les enjeux de la guerre au Yémen et le désastre que serait un conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

Paris Match. Vous venez d’écrire un article très complet sur la guerre au Yémen. Pourquoi selon vous parle-t-on si peu de ce conflit ? On a l’impression que les occidentaux ont décidé de laisser cette guerre aux Iraniens et aux Saoudiens.
Michael Knights. Le Yémen est en effet une guerre oubliée parce qu’il y en a beaucoup d’autres dans la région: en Syrie, en Irak contre Daech, la guerre de la Turquie contre ses Kurdes, le conflit libyen, et ainsi de suite. Chacune de ces guerres serait individuellement une grande histoire dans l’avant 2011. Aujourd’hui, elles sont toutes transformées en petites histoires car elles sont en concurrence dans la presse. Cette guerre au Yémen est peu couverte parce qu’elle se déroule dans un pays obscur et sans intervention claire de l’Occident comme vous le suggérez. C’est une histoire complexe qui remonte aux années 1990. Il est difficile par exemple d’expliquer à un néophyte comment les Houthis qui se sont affrontés successivement à l’occasion de six guerres contre les forces de l’ex président Ali Abdullah Saleh sont aujourd’hui leurs alliés (avec le soutien iranien) contre le gouvernement reconnu internationalement du Président Abd Rabbo Mansour Hadi.

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Votre description des opérations est incroyable. La coalition des pays du Golfe menée par l’Arabie saoudite a déployé quantité de chars, d’armes sophistiquées, des milliers de soldats, des hélicoptères d’attaque et jusqu’à 300 sorties par jour pour les avions de chasse. Pour un pays habitué à rester hors des conflits, c’est surprenant n’est-ce pas ?
Vu de loin oui. Il est surprenant de voir une coalition arabe du Golfe mener une guerre avec seulement un soutien en coulisses des gouvernements occidentaux et des entrepreneurs de Défense. Pour les analystes de Défense que nous sommes et qui suivons avec intérêt les évolutions des forces militaires des pays de la région, ce n’est pas une surprise. Année par année, les Etats du Golfe ont modernisé et professionnalisé leurs forces armées. Dans cette guerre, même le Soudan a envoyé des escadrons aériens de Sukhoï Su-24 mener des attaques au sol. Les Emirats arabes unis ont été particulièrement impressionnants. C’était à prévoir parce qu’ils ont travaillé sérieusement – en partie avec l’aide de la France – à développer une puissante armée. Il peut surprendre les lecteurs d’apprendre que les émirats ont envoyé des forces d’intervention au Liban, en Somalie, au Kosovo, en Afghanistan, en Libye et maintenant au Yémen ! Ils se sont préparés pour cette guerre depuis longtemps.

 

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Cette guerre n’est donc pas selon vous un caprice d’émir ?
Les Saoudiens et leurs alliés sont partis en guerre selon moi pour montrer à l’Iran leur détermination à se battre pour empêcher l’expansionnisme perse en Syrie, au Liban, à Bahreïn et au Yémen. Le message envoyé est le suivant: même si les États-Unis font la paix avec l’Iran, nous les Etats du Golfe sommes prêts à faire cavalier seul pour défaire un gouvernement soutenu par l’Iran. L’Arabie Saoudite et les Emirats avaient déjà fait un pas dans cette direction en envoyant des troupes à Bahreïn pendant le printemps arabe. Le Yémen était la deuxième étape. Les émiratis ont également utilisé cette guerre comme un moyen de construire un patriotisme national pour devenir une nation plus forte.

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Vous écrivez que le prochaine étape pourrait être un assaut des forces de la coalition du Golfe sur Sanaa et la province de Saada. Cela pourrait provoquer un bain de sang et il serait d’autant plus urgent de trouver une médiation, est-ce envisageable ? Qui peut les mener ?
Les parties doivent négocier. Les Nations Unies pourrait être un médiateur international. C’est bien l’ONU qui a mis le Yémen sous la protection du Conseil de sécurité et qui a appelé tous les états membres à empêcher le réarmement des Houthis. S’il faut un courtier honnête dans la région, le Sultanat d’Oman est un choix évident car il est resté neutre dans le conflit. (Ndlr : Oman avait joué un rôle précieux d’intermédiaire lors de la libération de l’otage Isabelle Prime en août dernier). Néanmoins, les parties impliquées l’Arabie Saoudite d’un coté et les Houthis et les forces loyalistes de l’ex-président Saleh de l’autres devraient comprendre le bénéfice à tirer en mettant fin à cette guerre. Cette dimension là ne peut se substituer à la pression internationale.

« Al Qaeda et l’Etat Islamique profitent du chaos de la guerre »

Au Yémen, le groupe Al Qaeda dans la Péninsule arabique (AQPA) est présent. Ce sont eux qui ont formé l’un des frères Kouachi et revendiqué l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015. Vous dites qu’ils s’implantent surtout dans les «zones libérées»? Pourriez-vous nous expliquer?
L’état du Yémen a été en guerre avec AQPA dans ses diverses formes depuis dix-huit ans. Au cours du printemps arabe en 2011, alors que le régime Saleh luttait pour sa survie, la moitié de l’armée menait encore de grandes batailles contre AQPA dans le sud du pays avec le soutien de l’aviation américaine. La guerre du nouveau gouvernement Hadi contre les Houthis/Saleh a eu pour conséquence de monter les principaux adversaires d’AQPA les uns contre les autres. Dernièrement, les Saoudiens ont commencé eux aussi à lutter contre AQPA tout en continuant la guerre contre les Houthis et les partisans de Saleh. L’Arabie Saoudite et les Etats-Unis ont mené des raids à Moukalla contre AQPA. La guerre est devenue encore plus compliquée, mais ce qui est sur c’est qu’AQPA et maintenant l’Etat Islamique ont élargi leur présence dans le sud du Yémen profitant du chaos de la guerre.

Militairement quel est le bilan du conflit mené par les Saoudiens et leur coalition ? Pourriez-vous expliquer en détail sur la guerre aérienne.
Comme je l’ai montré dans mes articles, la guerre aérienne a permis d’éliminer une quantité importante de missiles appartenant aux Houthis et aux partisans de l’ex président Saleh. Plus largement, elle a endommagé leur machine de guerre. L’appui aérien a rendu plus efficaces les offensives terrestres, permettant d’assurer leur succès à moindre coût. Personne ne mène une guerre sans soutien aérien aujourd’hui si il dispose d’une force aérienne.

Aden, 2015

Aden, 2015

Les offensives terrestres ?
Elles ont permis de libérer Aden et Taizz, les deuxième et troisième plus grandes villes du Yémen. Ce n’est pas encore fini. L’objectif est pour la coalition de libérer la capitale Sanaa et des ports importants tenus par les Houthis le long de la mer Rouge. Des champs importants de pétrole et de gaz à Marib et Shabwa ont également été repris par le gouvernement.

Et la guerre navale ?
Le réapprovisionnement des Houthis par l’Iran a été significativement affecté. Au cours des trois dernières semaines, deux cargaisons maritimes ont par exemple été saisies. L’embargo sur les armes imposé par l’ONU sur les forces Houthi/Saleh a été appliqué.

Les Saoudiens ont aussi subi de lourdes pertes matérielles à la frontière avec le Yémen. Vous écrivez qu’au cours des six derniers mois, des groupes armés de missiles fournis par l’Iran ont éliminé une soixantaine de chars saoudiens et d’autres véhicules, plus une douzaine de postes frontaliers». Quelle est votre explication ?
C’est simple: le Hezbollah libanais et l’Iran ont reproduit le même schéma que sur la ligne de front entre Israël et le Hezbollah. Les forces Houthi/Saleh utilisent les mêmes armes et la même tactique qui leur a été enseignée par les formateurs du Hezbollah libanais. Les chars saoudiens, en majorité, ont été détruits lorsqu’ils étaient utilisés en avant-postes en position immobile à la frontière ou au cours de manœuvres lentes, ce qui en fait des cibles faciles. Ceci est un défi militaire très difficile à gérer pour les Saoudiens. Leur réponse a été de traquer les commandos armés avec des hélicoptères Apache après chaque lancement de missile. Cet effort a infligé lentement un coût sur les forces Houthi/Saleh.

« Sur les dommages collatéraux, la coalition doit montrer plus de transparence et accepter une enquête de l’Onu »

Qu’en est-il des dommages collatéraux dénoncés par Amnesty international? La Coalition du Golfe semble avoir perdu la guerre de propagande: on dit que les raids aériens ont entraîné «des milliers de victimes parmi les civils».
Mon article sur la guerre aérienne traite de cette question en détail. Pour résumer, l’offensive aérienne de la coalition peut être comparée à celle de l’OTAN dans les Balkans dans les années 1990. L’aviation de la Coalition des pays du Golfe a fait des efforts pour limiter les pertes, mais les leçons sont apprises sur le tas. Il faut noter que les forces aériennes de la Coalition sont moins bien équipées que les avions français ou américains pour réduire les dommages collatéraux. Les avions occidentaux d’aujourd’hui portent des « Pods » qui permettent à un pilote de superposer un anneau sur une cible lui montrant dans quel périmètre les civils peuvent être blessés. Les avions de la Coalition ne possèdent pas cette capacité. Les types de cibles sont aussi un facteur. Les Houthis se fondent parmi les civils et utilisent des écoles et des hôpitaux pour stocker des munitions ou encore des stations-service civiles. Les pilotes de la Coalition doivent faire des jugements rapides pour décider de frapper une cible ou non. Parfois, ils se trompent et lorsque ce n’est pas le cas, il peut quand même y avoir des morts parmi les civils. Toutes les forces aériennes le font: si la cible est assez importante, ils acceptent des victimes civiles.

En octobre dernier, les Américains ont bombardé un hôpital de Médecins Sans Frontières à Kunduz en Afghanistan, les saoudiens en ont bombardé un au Yémen plus récemment tuant 5 personnes dont un ambulancier de MSF. Sait-on ce qu’il s’est passé ?
Seulement une véritable enquête, peut-être menée par l’ONU, pourrait nous permettre de le savoir. Au-delà des faits, cela nous permettrait de savoir si des innocents ont été ciblés et tués. Puisqu’elle dit faire des efforts pour limiter les pertes civiles, la Coalition des Etats du Golfe devrait ouvrir ses données à un examen international. Elle devrait montrer plus de transparence et autoriser une enquête de l’ONU qui lui assurerait en échange de ne pas révéler ses secrets militaires. Néanmoins, Je peux dire une chose: je doute fort que les États-Unis en Afghanistan ou l’Arabie Saoudite au Yémen aient frappé des hôpitaux avec l’intention de viser le personnel de MSF. Ce serait absurde.

Quelles leçons les Pasdaran iranien et les Américains doivent-ils tirer de la guerre du Yémen?
Je ne vais pas faire le travail des Pasdaran pour eux, mais les États-Unis et la Coalition du Golfe peuvent tirer une série de conclusions. Tout d’abord, les capacités militaires des pays arabes du Golfe, en particulier celle des Émirats arabes unis et de l’Arabie Saoudite, ont considérablement augmenté depuis la guerre du Golfe de 1991. Ils sont capables maintenant de mener une opération militaire majeure et complexe par leurs propres moyens pendant un an. Ils peuvent lancer des débarquements amphibies, des assauts aéroportés, des blocus maritime, des opérations de blitzkrieg blindés et également procéder à la défense anti-missile. Deuxièmement, un investissement relativement limité de forces terrestres a eu un impact décisif sur plusieurs champs de bataille renforçant le contrôle du gouvernement sur deux des trois plus grandes villes au Yémen et forçant les Houthis à s’asseoir à la table des négociations. Troisièmement, une campagne aérienne peut être militairement efficace mais politiquement désastreuse si l’effort fourni pour protéger les populations civiles est insuffisant. Il importe tout autant de savoir montrer à l’opinion publique que de tels efforts sont réellement fournis. Quatrièmement, si l’Iran peut être opposé et battu dans les zones où il est seulement partiellement engagé, une véritable guerre avec l’Iran serait un cauchemar. Les Houthis ne sont pas encore le Hezbollah libanais. L’effort de la Coalition a peut-être empêché que cela se produise. Mais les Etats du Golfe n’ont pas encore fait face à un véritable effort militaire des Iranien. Cette guerre au Yémen est un entrainement: la vraie guerre entre les Etats du Golfe et l’Iran serait beaucoup plus difficile. Les Etats du Golfe ont ramené des dizaines de cercueils du Yémen. Ils devraient être prêts à voir des gratte-ciel et des ports à Dubaï en flamme si une véritable guerre devait éclater. Dans un tel conflit, les Perses subiraient eux aussi de lourdes pertes et leurs villes aussi seraient également en flamme.

Une interview réalisée en partenariat avec le site d’actualité

Middle East Transparent

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