Quelle différence pourrait exister entre ces trois événements :
– La condamnation à l’exécution capitale, par pendaison, d’un citoyen iranien pour « apostasie nationale », le coupable ayant tout simplement décidé de se convertir au christianisme protestant de type évangélique et ayant refusé de retourner dans le giron d’une religion politiquement correcte aux yeux du régime des mollahs de Téhéran.
– L’incendie criminel d’une église en Haute-Egypte suivi de la répression sanglante de la manifestation de protestation organisée par des fidèles de l’église Copte.
– Les pressions insidieuses des autorités libanaises de la Sûreté Générale, sur intervention de l’Ambassade d’Iran, et qui ont abouti à retirer d’un festival de cinéma un film iranien que le pouvoir répressif a jugé qu’il porte atteinte à la Révolution Islamique d’Iran.
En principe, ces faits pointent tous le radicalisme islamiste et son emprise sur la vie publique. Mais il ne faut pas se fier aux apparences car ces faits ont, aussi, un dénominateur commun : la toute puissance des forces d’inertie sur toute dynamique du changement et de libération. Dans ce cas, il y a lieu de lire la mort des manifestants coptes du Caire comme étant le signe de manœuvres visant à remettre en selle le régime d’avant la révolution. Le peuple égyptien se laissera-t-il faire ?
Cette lecture de l’actualité égyptienne met sur un même plan les faits graves de la place Maspero et l’échec de la Révolution du Cèdre en 2005. Le soulèvement pacifique du peuple libanais fut, lui aussi, récupéré par des forces traditionnelles féodales et claniques, certes moins sanguinaires que les forces sécuritaires égyptienne mais dont la force d’inertie est tout aussi redoutable. Le Liban de papa, celui d’avant 2005, est un cadavre dont la réanimation est strictement inutile. La récupération de la Révolution du Cèdre a insufflé une nouvelle vie à cette dépouille d’une société qui est toujours prisonnière des catégories mentales héritées du début du XIX° siècle.
La classe politique libanaise n’a pas saisi la nature et le sens de l’événement qu’elle était censée gérer. Elle n’a pas procédé à une évaluation critique et n’a point cherché à purifier les mémoires. Elle a laissé se répandre un virus mortel, celui qui consiste à proclamer la légitimité du présent dans un passé avec lequel aucune rupture n’aurait été opérée. L’exceptionnel soulèvement de mars 2005 devient, dans ces conditions, une simple péripétie d’un destin historique continu dans lequel la figure d’un Samir Kassir ne serait qu’un avatar de celle d’un Tanios Chahine. Désarçonnée par l’ampleur du mouvement, la classe politique n’a rien compris à cette rupture et eut peur du changement. Elle préféra se réfugier dans les recettes mortelles des compromis et des concessions même sur des principes intangibles.
En sera-t-il de même du printemps arabe ? Sera-t-il récupéré par l’obscurantisme ? Court il réellement le danger de devoir engendrer un système politique fondé sur le radicalisme islamiste, notamment en Syrie ? Rien n’autorise, de prime abord, une telle conclusion. L’islamisme politique existe, par contre, en Iran depuis 1979 et la condamnation à mort du jeune pasteur Yocef Nadarkhani en est une manifestation qui soulève l’indignation. Faut-il rappeler qu’au milieu du XIX° siècle, l’Empire Ottoman avait annulé, dans le cadre des Tanzimat, l’apostasie comme chef d’accusation passible de la peine capitale ?
Un tel rappel est-il de nature à sortir de sa torpeur la conscience d’une large frange de chrétiens de Syrie et du Liban ? Ils continuent à ne voir dans les jeunes syriens qui vont à la mort, au nom de leur dignité et de leur liberté de personnes humaines, que des salafistes fanatiques prêts à exterminer le chrétien. Aveuglés par la haine de tout changement, ils gardent le silence face au sort du pasteur iranien car ils préfèrent se réfugier sous les turbans de ses bourreaux, les mollahs de Téhéran, ainsi que sous la botte d’une famille syrienne qui, depuis 43 ans, est le tortionnaire exclusif de Syrie et du Liban.
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* Beyrouth