L’ÉCLAIRAGE
Si le 8 Mars a durci sa position sur le dossier ministériel et cessé ses visites à Mousseitbé, le Premier ministre désigné Tammam Salam n’est pas près de renoncer aux critères qu’il s’était engagé à respecter pour la formation du nouveau cabinet. En même temps, il n’envisage aucune initiative susceptible d’écarter une partie en faveur d’une autre, quand bien même le 8 Mars l’appelle à « la démission ».
Le Premier ministre désigné tente ainsi de maintenir une position solide et en même temps médiane, qui neutralise les propos du 8 Mars sur son prétendu « échec » et débloque le processus vers le nouveau cabinet. « Je voudrais présider le gouvernement de la solution. C’est ce que veulent les Libanais et c’est ainsi que je suis perçu par la communauté internationale », répète-t-il devant ses visiteurs. Il refuse de démissionner « pour ne pas fuir les responsabilités » et s’abstient en même temps de toute « aventure d’un cabinet susceptible d’entraîner le Liban dans la crise ».
Il doit se rendre aujourd’hui à Baabda pour réévaluer, avec le président de la République Michel Sleiman, les conditions et demandes des différentes parties, notamment celles du Hezbollah, à l’heure où les conditions de ce parti sont en nette contradiction avec les constantes de Baabda.
Le parti de Dieu tient, lui, au tiers de blocage et ne reconnaît que les seules proportions des blocs parlementaires comme critère de répartition des ministères. L’alternance des portefeuilles, préconisée par Tammam Salam, est également rejetée. Le Hezbollah refuse tout aussi fermement d’inclure la déclaration de Baabda dans la déclaration ministérielle, puisqu’elle contredit le triptyque armée-peuple-résistance.
De son côté, le Premier ministre désigné continue de récuser la logique du 8 Mars. Il demeure attaché à la formule des trois huit (huit portefeuilles respectifs au 14 Mars, au 8 Mars et aux centristes). Il n’accordera à aucune partie le tiers de blocage, que ce soit directement, ou par le moyen d’un ministre-roi. Il refuse surtout d’adopter le triptyque peuple-armée-résistance dans la déclaration ministérielle, puisque la logique de la résistance a été dénaturée par la participation des combattants du Hezbollah à la guerre en Syrie, aux côtés du régime.
Face à cette impasse, le parti de Dieu agit comme si la démission du Premier ministre désigné était une sérieuse éventualité et réitère depuis plusieurs semaines son appel au retour de l’ancien Premier ministre Saad Hariri, en vertu « d’un marché politique » qui le consacrerait à la tête du prochain gouvernement, sur la base d’une coopération renouvelée.
La position de Tammam Salam s’en différencie par l’ouverture que lui impose sa position. « Je patienterais jusqu’à ce que s’épuise ma patience », confie-t-il. Il bénéficie par ailleurs du soutien du 14 Mars. Les leaders du 14 Mars, notamment le chef du bloc du Futur, le député Fouad Siniora, assurent que le prochain gouvernement sera formé par le président Salam et « mettra un terme définitif aux insinuations contraires que le 8 Mars laisse délibérément filtrer ».
Entre-temps, Tammam Salam est dans l’attente d’un consensus entre toutes les parties pour former un cabinet « au service des citoyens et non du fromagisme traditionnel ». Ce souci ne l’empêche pas d’envisager de former un cabinet neutre de technocrates, qui n’inclurait aucun ministre du 8 ou du 14 Mars. Certains milieux informés se montrent optimistes sur ce point, allant jusqu’à affirmer qu’un cabinet neutre verra le jour dans un délai d’un mois au plus tard. Un ancien ministre assure que la formule d’un cabinet transitoire qui supervise l’élection présidentielle est de nouveau de mise. Des milieux diplomatiques occidentaux vont jusqu’à assurer que l’échéance de la présidentielle sera respectée, contrairement à ce que d’aucuns tentent de véhiculer. Le nom des candidats feraient déjà l’objet de concertations entre « les décideurs ».
Les visiteurs de Baabda rapportent d’ailleurs la volonté du chef de l’État de présider une table de dialogue avant le 22 novembre prochain, avec les parties qui voudront y prendre part. En même temps, des informations circulent sur la possibilité que les présidents Sleiman et Salam forment un cabinet neutre avant la tenue de la conférence de dialogue, le vide au niveau de l’exécutif n’étant plus supportable.
Dans ce contexte, le Premier ministre démissionnaire Nagib Mikati justifierait son refus de réunir le Conseil des ministres par une volonté d’accélérer la formation du nouveau cabinet. Il campe en effet sur son refus de présider une réunion ministérielle pour le vote du décret de financement du Tribunal spécial pour le Liban et des deux décrets relatifs aux forages pétroliers. Il a d’ailleurs assuré hier au président de la République qu’il ne reviendrait pas sur sa position.
Les milieux du Grand Sérail expliquent ce refus par l’absence d’entente sur le dossier pétrolier, qui fait l’objet d’une vive polémique entre les ministres aounistes et le président de la Chambre. Ils relèvent également le refus du 14 Mars de confier ce dossier à un cabinet démissionnaire. En outre, le financement du TSL serait contré à cause du différend entre le 8 et le 14 Mars sur la question, comme l’indiquent, sans plus de détails, les mêmes sources du Grand Sérail. En somme, la convocation à une réunion du Conseil des ministres n’aiderait pas à décanter la situation, et encore moins à ouvrir une brèche dans l’impasse ministérielle.
Le président Mikati ne voudrait pas fournir aux différentes parties le prétexte de ne pas former un gouvernement, en réglant, à travers l’expédition des affaires courantes, les dossiers épineux qui intéressent ces parties. La non-tenue d’un Conseil des ministres devrait inciter les différentes parties, pressées de régler la répartition des blocs pétroliers, ou de financer le TSL, d’accélérer la formation du nouveau cabinet. Cette logique aurait même fini par séduire le chef du Front de lutte nationale, le député Walid Joumblatt. En revanche, le chef du bloc du Changement et de la Réforme, le député Michel Aoun, associerait cette position du président Mikati à une volonté du 14 Mars d’ôter au ministre Gebran Bassil toute reconnaissance sur le dossier du pétrole. Le président Mikati reste convaincu que le vote de tout nouveau décret ne ferait qu’aggraver les tensions existantes.
Il reste à voir si cette approche servira de catalyseur dans l’équation ministérielle…