L’ÉCLAIRAGE
Le Hezbollah œuvre-t-il en faveur du vide à tous les niveaux, contrairement à son discours officiel ? C’est en tout cas ce que pensent des sources du 14 Mars, qui soulignent que le vide sert les intérêts du parti aux plans local et régional, et qu’il s’agit d’une bonne carte entre les mains du parti et de Téhéran. Si le Hezb ne voulait pas le vide, il aurait agi différemment : ses députés auraient assisté aux séances pour l’élection d’un président, il aurait soutenu la candidature du général Michel Aoun et en aurait fait d’abord la promotion auprès de son allié, Nabih Berry, ou encore du député Walid Joumblatt. Il n’aurait pas boycotté les séances et provoqué des défauts de quorum, tout en jetant la responsabilité du torpillage sur le 14 Mars, accusé d’avoir « eu l’audace » de soutenir la candidature « impossible » de Samir Geagea…
Si le Hezbollah voulait vraiment que l’échéance ait lieu, n’aurait-il pas pris l’initiative, il y a quelque temps déjà, d’entrer en contact avec des pôles du 14 Mars, notamment le courant du Futur, comme le faisait, en parallèle, le Courant patriotique libre avec Saad Hariri ? Ce contact entre le CPL et le Futur ne gêne-t-il pas le parti chiite qui avait, rappelons-le, manqué de soutenir le gendre du général Aoun, Chamel Roukoz, lorsqu’il était question que ce dernier succède au général Jean Kahwagi ?
Pourquoi le Hezbollah aspire-t-il au vide ? Pardi, le vide, à l’issue du mandat Gemayel, n’avait-il pas, en 1988-1990, débouché sur l’accord de Taëf, avec une refonte des pouvoirs à la clef, faisant du président de la République un « roi à nu » ? Le vide en 2007-2008, après la fin de la prorogation du mandat Lahoud, n’avait-il pas conduit à l’accord de Doha, qui avait consacré le tiers de blocage au Hezbollah et à ses alliés? Le vide assure ainsi une fonction primordiale aux yeux du parti chiite, puisqu’il lui permet de s’assurer une place encore plus influente au sein du pouvoir exécutif, comme l’avait d’ailleurs admis un responsable du Hezb en 2007 à un responsable français, lorsque Paris déployait tous ses efforts pour débloquer l’échéance présidentielle. À l’époque, un diplomate français, de retour de Téhéran, avait fait état d’une volonté, chez certains responsables iraniens, de substituer un système de répartition par tiers (sunnites-chiites-chrétiens) à la parité islamo-chrétienne, de manière à octroyer à la communauté chiite une place plus importante au pouvoir.
Mais comment donc et sur quelles bases ? Selon un responsable occidental qui suit de près le dossier libanais, le tandem chiite Hezbollah-Amal ne dissimule plus ses demandes. Il affirme haut et fort qu’il souhaite désormais sa place dans l’exécutif aux côtés des maronites et des sunnites. Aussi le tandem chiite ne se contentera-t-il pas du vide présidentiel pour arriver à ses fins, mais s’acharnera-t-il ensuite sur le cabinet, provoquant un départ des ministres chiites afin de délégitimer le gouvernement et empêcher le Premier ministre sunnite du 14 Mars d’hériter des prérogatives présidentielles. Puis, une fois le cabinet suspendu, c’est vers la Chambre que le Hezbollah se retournera. Le Parlement sera ainsi incapable de proroger une fois de plus son mandat, puisque le cabinet sera « illégitime » et que la signature du Conseil des ministres au grand complet est nécessaire pour obtenir cette prorogation. Il n’y aura pas non plus de président de la République pour avaliser cette prorogation… Ce vide absolu au niveau des institutions donnerait enfin au Hezbollah la possibilité d’obtenir ce qu’il recherche : une recomposition du système politique à travers une Constituante. D’où la récente mise en garde sérieuse faite par le président de la République Michel Sleiman contre ce projet porteur de chaos pour le Liban.
Pour le 14 Mars, il est clair qu’après cette quête progressive du vide, qui constitue un « 7-Mai politico-institutionnel » en bonne et due forme, le tandem chiite réclamera bien vite un nouveau Taëf, ou un nouveau Doha, avec, en prime, une nouvelle revendication au niveau du pouvoir exécutif : la création d’un poste de vice-président de la République attribué à un représentant de la communauté chiite, et dont le rôle serait de contresigner les lois et les décrets avec le président de la République et le Conseil des ministres. C’est également lui qui, en cas d’absence du président de la République, présiderait les séances du Conseil des ministres, assisterait aux conférences internationales et présiderait les délégations du Liban aux différents sommets arabes et internationaux. Un tel pouvoir serait ainsi de nature à « rassurer » la communauté chiite au sein du système. De même, le Hezbollah réclamerait le commandement en chef de l’armée, un poste traditionnellement attribué aux maronites, le but étant de protéger et garantir l’avenir de la « Résistance » et de ses armes, c’est-à-dire d’ouvrir la voie à leur intégration au sein de la légalité dans le cadre d’une stratégie défensive. D’ailleurs, lorsque des efforts avaient été menés ces dernières années par différents pôles, dont Baabda, Bkerké et même Aoun, pour permettre aux maronites de recouvrer le poste de directeur de la Sûreté générale, passé aux mains des chiites sous Émile Lahoud avec l’avènement de Jamil Sayyed, le Hezbollah avait posé l’équation suivante : la direction de la Sûreté générale contre le commandement de l’armée ou le poste de gouverneur de la Banque du Liban. Or, ces deux fonctions de première catégorie avaient été jusque-là préservées de la rotation qui avait ôté aux maronites certains des postes fondamentaux qu’ils détenaient avant Taëf, comme la direction générale des Affaires étrangères ou la direction de la Sûreté générale.
C’est donc rien moins qu’un nouveau Taëf, fondé sur une répartition par tiers, que le Hezbollah recherche, au point d’inquiéter les capitales occidentales, qui souhaitent assurer la tenue de l’échéance présidentielle pour préserver la stabilité et éviter ainsi de nouvelles convulsions au Liban.