Dans une interview au « Figaro », le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, appelle les chrétiens à s’unir s’ils veulent préserver leur communauté.
LE FIGARO. – Quelles menaces pèsent sur les chrétiens du Liban ?
Mgr SFEIR. – Première menace : le départ de ses enfants pour l’étranger. Depuis 1975 (date du début d’une guerre civile qui durera jusqu’à 1990), plus d’un million de jeunes Libanais ont choisi la route de l’exil, fuyant l’insécurité physique mais aussi économique. Largement plus de la moitié d’entre eux étaient des chrétiens. Ils sont installés au Canada, en Australie, aux États-Unis, dans ces grands pays neufs ouverts à une main-d’oeuvre de professionnels très qualifiés. L’avantage est qu’ils ont reçu, en français très souvent, une éducation primaire et secondaire de type occidental. Aujourd’hui, le principal pôle d’attraction est devenu le Golfe, à cause de son boom économique. Il y a six mois, il n’y avait que 5 000 Libanais au Qatar ; ils sont 30 000 aujourd’hui ! Les premiers sont partis en pionniers, puis ont fait venir les autres.
Pourront-ils pratiquer leur religion là-bas ?
Oui, car le Qatar est un pays tolérant. Ce n’est pas l’Arabie saoudite, où dire la messe constitue un délit.
La montée de l’islamisme n’est-elle pas la première menace pour les chrétiens ?
Le radicalisme islamique, qu’il soit chiite ou sunnite, fait fi de la tolérance religieuse, et constitue donc une menace pour toute communauté chrétienne d’Orient. Historiquement, le Liban a toujours été ressenti comme une terre de liberté, et donc de refuge, par les chrétiens d’Orient. C’est pourquoi nous avons, ici, quelque dix-huit communautés chrétiennes différentes. Foncièrement tolérant, l’islam libanais est unique, qui entretient une tradition de convivialité aussi étroite avec la chrétienté orientale. Jean-Paul II, lors de sa visite en 1999, a dit que le Liban était, pour le monde entier, un exemple de coexistence entre chrétiens et musulmans. L’islamisme est, au Liban, un produit d’importation récent, venu des grands pays de la région. L’originalité de l’islam libanais est qu’il est attaché à la présence chrétienne, ressentie comme une garantie de liberté pour le pays tout entier. Un ministre musulman m’a dit récemment que le maintien d’une communauté chrétienne forte et unie était dans l’intérêt supérieur du Liban !
Mais elle est dangereusement divisée…
C’est regrettable et c’est pourquoi j’ai tenté de persuader Amine Gemayel et Michel Aoun de renoncer à leur duel au Metn. Mais, c’est aussi explicable par la tradition de débat démocratique prévalant au sein de la communauté chrétienne. Contrairement aux apparences, les communautés sunnite et chiite ne sont pas des blocs monolithiques. Simplement, elles n’étalent pas leurs divisions au grand jour.
Institutionnellement, de quoi le Liban a-t-il besoin ?
Il faut d’abord que tous les Libanais décident en Libanais, et non en fonction de ce que leur dictent des puissances étrangères comme l’Iran ou la Syrie. Le jour où Damas aura renoncé à considérer le Liban comme un protectorat, et Téhéran comme une base d’attaque contre Israël, les choses iront beaucoup mieux ici. La parité entre musulmans et chrétiens au Parlement doit être maintenue, car elle est une garantie de la participation chrétienne aux affaires de l’État. Il y a beaucoup d’autres chrétiens dans le monde arabo-musulman, mais nulle part ils ne sont réellement associés à la décision politique. L’échéance présidentielle est fondamentale. Il est de l’intérêt de tout le pays que les chrétiens parviennent à se mettre d’accord sur une personnalité maronite réunissant quatre qualités : indépendance, compétence, courage politique, vision stratégique.
Propos recueillis à Dimane par R. G..