L’écrivaine palestinienne Zaynab Rashid raconte comment sa famille, autrefois joyeuse et tolérante, est tombée dans le fanatisme religieux, au point de rejeter les petits plaisirs de la vie.
29.04.2010 | Zaynab Rashid | Shaffaf
Sans la mobilisation de nombreux Juifs libéraux dans le monde, le juge sud-africain Richard Goldstone n’aurait pas pu assister à la bar-mitsva de son petit-fils. Son rapport remis à l’ONU sur la guerre à Gaza en 2009 accusait Israël, comme le Hamas, de crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité. Selon Yediot Aharonot, beaucoup de Juifs en colère avaient initialement milité pour que l’accès à la synagogue lui soit interdit.
Jusqu’à une date récente, ma mère ne pouvait jurer que sur la tête de notre voisine, Oum Hanna. Car celle-ci, seule chrétienne de notre quartier, était la plus chère à son cœur parmi tous les habitants. Elle n’aimait rien tant qu’aller la retrouver chez elle pour passer des heures à bavarder. Chaque fois que je ne la trouvais pas à la maison, me sœur me disait qu’elle était “certainement chez sa copine préférée”. Elles se retrouvaient pour faire la cuisine, et aussi, bien sûr, pour échanger des ragots sur les femmes du quartier. Quant à ma sœur, elle était insouciante, riait beaucoup, plaisantait, écoutait de la musique, regardait des feuilletons, était fière de sa belle chevelure et n’hésitait pas à danser devant ses amies lors des fêtes.
Mon cousin, lui, venait souvent nous voir et nous saluait en nous serrant la main, à mes sœurs et à moi. Parfois, il déposait un bisou sur nos fronts. Il aimait s’habiller et se faire beau. Il avait un bon cœur, suffisamment grand pour avoir d’innombrables amis. Ainsi entouré d’affection, il était toujours de bonne humeur.
Il y avait aussi mon amie d’enfance, avec laquelle j’avais partagé les bancs de l’école. On s’appréciait énormément. J’étais sa meilleure confidente. Elle ne me cachait rien de sa vie et elle me demandait conseil sur tout ce qui lui arrivait. Elle me disait toujours qu’elle avait du mal à passer une journée sans venir me voir. Et si vraiment on ne pouvait pas se rencontrer, on compensait par trois heures au téléphone.
Tout cela, c’était avant que ma mère ne se mette à aller à la mosquée pour la prière, à y rester après la prière pour recevoir des leçons d’un imam qui lui expliquait ce qui était licite et ce qui ne l’était pas. Tout cela, c’était avant que ma sœur ne mette le voile sur les conseils insistants d’une amie, une amie qui avait fini par l’entraîner, elle aussi, aux leçons à la mosquée. Tout cela, c’était avant que mon cousin ne se laisse pousser la barbe, lui aussi après s’être mis à fréquenter la mosquée. Tout cela, c’était avant que mon amie d’enfance décide de devenir “vertueuse” et de cacher son visage.
Depuis, ma mère ne supporte plus la vue de notre voisine Oum Hanna. Il suffit d’évoquer son nom pour qu’elle se rembrunisse. Quand elle quitte la maison pour faire une course – ou, plus souvent, pour aller à la mosquée – elle presse le pas afin de l’éviter. Chez ma sœur, le sourire a cédé la place à un comportement emprunté et plein de gravité. Au lieu de plaisanter, elle prodigue des conseils en insistant lourdement auprès de tous ceux qu’elle croise, à commencer par moi-même. La musique, me dit-elle, doit être considérée comme une tentation du diable et regarder des feuilletons revient à se faire complice du péché, puisqu’ils regorgent de scènes de mixité des sexes. Elle s’empresse de remettre à sa place le moindre cheveu qui pourrait s’échapper de son voile à la recherche d’un peu de liberté. Si elle se trouve contrainte d’assister à une fête de famille, elle s’isole dans un coin, et si quelqu’un lui demande pourquoi elle ne danse plus, elle murmure : “Je demande pardon à Dieu pour ce péché.” Je ne vois pas où est le péché.
Mon cousin ne vient plus guère nous voir, si ce n’est pour les fêtes musulmanes. Et quand il vient, c’est pour nous saluer de loin, d’un air renfrogné. Il refuse de nous serrer la main, à moi et à ma sœur, probablement parce qu’il s’est rappelé que nous faisons partie de la catégorie de femmes avec lesquelles il pourrait se marier selon le droit islamique. Nous sommes donc devenues des objets sexuels potentiels et il ne nous considère plus que sous cet angle. Il affirme être en état de pureté rituelle permanente, arbore une barbe qui lui arrive presque jusqu’au ventre, porte une dichdacha [djellaba à la saoudienne]courte, [au- dessus de la cheville selon la norme salafiste], se met du khol autour des yeux et se parfume d’huile d’ambre de qualité douteuse comme on en vend à la sortie des mosquées. Ce qui ne l’empêche pas de jeter sur nous des coups d’œil pas très innocents.
Quant à l’amie qui ne se montre plus, j’ai l’impression d’être désormais la dernière chose dont elle se soucie. Elle n’est venue me voir qu’une seule fois, pour me proposer d’acheter des livres pieux. C’étaient des opuscules de la même facture que ceux qui vous promettent d’apprendre une langue en cinq jours ou de devenir millionnaire en dix. Là, il s’agissait de gagner le paradis en deux leçons et trois prières.
Ma mère n’arrête pas de dire que je suis une personne de qualité. Mais que pour être “vraiment parfaite”, il faudrait que je l’accompagne à la mosquée. A chaque fois qu’elle m’en parle, je pense à toutes ces transformations qu’elle a subies comme ma sœur, mon cousin et ma copine… Mais qu’est-ce qu’ils ont bien pu leur raconter à la mosquée ?
Traduction par Courrier International
L’original en arabe: