LE MONDE (Beyrouth, correspondant)
Ils n’étaient plus qu’à 7 kilomètres de leur objectif : l’aéroport de Tabqa, dans la province de Rakka, où 160 de leurs camarades avaient été faits prisonniers par l’organisation Etat islamique (EI), puis exécutés d’une balle dans la tête, en août 2014. Mais les soldats syriens, qui avaient pour mission de venger ce massacre et d’effacer l’humiliation infligée ce jour-là à Damas, ont dû faire machine arrière, lundi 20 juin, face à la brutale contre-offensive lancée par les djihadistes.
Le site d’informations Al-Masdar News, soutien du régime syrien, a publié mercredi 22 juin quelques détails sur ce repli, qui a viré selon lui au « désastre ». Les hommes au drapeau noir ont mis en déroute leurs adversaires par un barrage de mortiers et plusieurs véhicules bourrés d’explosifs, conduits par des kamikazes, l’une de leurs armes préférées.
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Selon Al-Masdar, qui s’appuie sur des sources militaires syriennes, une vingtaine de soldats ont été tués, une cinquantaine blessés et plusieurs dizaines d’autres sont portés disparus. Ce qui implique qu’ils sont soit morts, soit otages de l’EI, soit égarés derrière les lignes ennemies.
Cuisante reculade
Les forces loyalistes, qui se réjouissaient d’approcher de Tabqa, après une percée de trois semaines au cours de laquelle elles s’étaient emparées d’une série de village et de puits pétroliers, ont été renvoyées, en l’espace de deux jours, à leur point de départ, la localité d’Ithriya, 80 km à l’ouest de Tabqa
La reculade est d’autant plus cuisante que l’attaque était menée par plusieurs unités d’élite, supposées être le fer de lance de la « reconquête » promise à longueur de discours par Bachar Al-Assad : les « Marines syriens », une formation paramilitaire, et les « Faucons du désert », une milice pro-régime financée par l’homme d’affaires Ayman Jaber, un proche du président syrien. Ces deux unités avaient participé à la fin mars à la reprise de la cité antique de Palmyre, contrôlée pendant dix mois par les soldats du « califat ».
Sur les réseaux sociaux, la retraite de Tabqa, qui ravive les souvenirs du bain de sang de l’été 2014, suscite des commentaires amers de la part d’internautes favorables au régime. Certains l’attribuent à un défaut de planification – trop grand étirement des lignes loyalistes – et d’autres à un manque de soutien de l’aviation russe.
Manbij, verrou stratégique
L’armée syrienne, épuisée par cinq années de guerre civile, éprouve le plus grand mal à tenir ses positions en l’absence de couverture aérienne par les avions de Moscou. Les renforts de combattants chiites, arrivés d’Iran, du Liban, d’Irak ou d’Afghanistan, ne suffisent pas à inverser la tendance, comme l’ont montré les progrès des groupes armés rebelles, ces dernières semaines, dans le sud d’Alep.
Selon Al-Masdar, les loyalistes n’entendent pas relancer de sitôt leur offensive sur Tabqa. Le fiasco de cette opération redonne de l’air aux djihadistes de Rakka, le quartier général de l’EI en Syrie, qui s’inquiétaient d’être pris en tenaille, au sud par les troupes pro-régime et au nord par les Forces démocratiques syriennes (FDS).
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Cette coalition de milices tribales arabes et de paramilitaires kurdes, où les seconds jouent le rôle principal, s’est en effet emparée de plusieurs villages de la lointaine banlieue de Rakka. Ses combattants assiègent désormais la ville de Manbij, plus à l’ouest, un verrou stratégique sur la route entre la « capitale » de l’EI et la Turquie. Après la conquête de cette localité, qui paraît imminente, les FDS, qui disposent du soutien aérien américain, devront décider si elles pointent leur canon sur Rakka. Le régime d’Assad, dans tous les cas, ne semble plus en position de leurdisputer ce trophée.