RÉCIT
Parias depuis la mort du «Guide», ses partisans manifestent alors que des négociations sous l’égide de l’ONU sont en cours en vue de former un nouveau gouvernement et que des figures de l’ancien régime ont été lourdement condamnées par un tribunal de Tripoli.
Ils étaient invisibles depuis la mort de Muammar al-Kadhafi, en octobre 2011. Ceux qui ne s’étaient pas exilés en Egypte, en Tunisie ou à Malte restaient silencieux. Mais, depuis la mi-juillet, les partisans du «Guide» tentent de se faire entendre en Libye. Ils n’hésitent plus à manifester en brandissant le drapeau vert de la Jamahiriyah et des photos de l’ex-dictateur. Le mouvement n’est pas massif ; les manifestations ne rassemblent que quelques dizaines à quelques centaines de personnes. Mais elles se propagent, de Bani Walid, Sebha, et Syrte, dans le nord et le centre du pays, à Benghazi et Tobrouk, dans l’Est. «Même si le nombre de manifestants n’est pas très élevé, ces rassemblements constituent un signal qu’il faut écouter», explique Virginie Collombier, chercheuse à l’Institut universitaire européen à Florence, en Italie, et associée au Norwegian Peacebuilding Resource Centre (Noref).
Dans une Libye déchirée par les luttes entre ex-brigades rebelles et fragilisée par l’implantation de l’Etat islamique (EI), les anciens partisans de Kadhafi restent des parias. Ils ont conservé quelques fiefs, dont Bani Walid et Syrte, mais ne sont pas représentés à Tripoli et Tobrouk, où siègent deux gouvernements rivaux. Ils ne participent pas non plus au dialogue d’union nationale mené sous l’égide des Nations unies. Les premières manifestations coïncident d’ailleurs avec la signature, le 16 juillet à Skhirat, au Maroc, d’un accord préliminaire en vue de la création d’un nouveau gouvernement. «Cet accord a été vu comme une avancée, mais il ne règle pas la question des tribus et des communautés, dont les anciens proches du régime Kadhafi, qui sont exclues depuis 2011. Il n’est pas surprenant qu’une partie d’entre eux se mobilisent et manifestent. Ils craignent d’être totalement marginalisés», poursuit Virginie Collombier.
Effets pervers
Les rassemblements des anciens soutiens du guide libyen s’expliquent aussi par les récentes condamnations de figures du régime. Au terme d’un procès de seize mois, Saïf al-Islam, l’un des fils Kadhafi, et huit de ses proches, dont l’ex-Premier ministre Baghdadi al-Mahmoudi et l’ex-chef des services de renseignements Abdallah Senoussi, ont été condamnés à la peine de mort par un tribunal de Tripoli le 28 juillet. Huit autres ont écopé de la perpétuité. L’ONU a dénoncé ces peines, estimant que «les normes en matière de procès équitables n’avaient clairement pas été atteintes» et que «les responsabilités pénales individuelles» n’avaient pas été établies. L’ONG Human Rights Watch a de son côté indiqué que plusieurs accusés n’avaient pas pu bénéficier d’une véritable défense et appelé à un «réexamen approfondi et indépendant du verdict» par la Cour suprême. Malgré des demandes répétées, les nouvelles autorités libyennes ont toujours refusé de porter les affaires devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Saïf al-Islam, détenu depuis son arrestation en novembre 2011 à Zenten (Ouest) par des milices opposées à celles qui contrôlent Tripoli, fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI pour crimes de guerre présumés.
Grands perdants de la révolution de 2011, les pro-Kadhafi ne disposent pas de réel pouvoir militaire face aux milices surarmées de Misrata ou Benghazi. Mais leur marginalisation a déjà des effets pervers. A Syrte, des familles proches de l’ancien régime ont collaboré au début de l’été avec l’EI, qui contrôle désormais la ville. «Elles l’ont fait avant tout car les milices de Misrata, très actives durant la révolution, étaient en première ligne contre l’EI. Leur justification était : « Comment les Misratis peuvent-ils prétendre nous libérer aujourd’hui alors que ce sont eux les responsables du chaos ? »», explique Virginie Collombier. Après quelques incursions, doublées d’un encerclement de Syrte, les milices de Misrata n’ont plus tenté de déloger l’EI de la ville, préférant rester à distance.
Représailles
Depuis, les habitants de Syrte ont tenté à leur tour de chasser les jihadistes. Leur retournement a été provoqué par l’assassinat début août d’un imam influent, membre du clan des Al-Farjane. En représailles, les jihadistes ont tué une centaine de personnes et décapité plusieurs combattants, selon Lana, l’agence officielle libyenne. L’EI a «massacré les gens, tuant même des personnes dans leurs maisons», a dénoncé Chibani Abouhamoud, ambassadeur de Libye à Paris. Le gouvernement basé dans l’Est libyen, seul reconnu par la communauté internationale, a demandé aux «pays arabes frères» d’intervenir militairement et de lancer des frappes aériennes contre les positions de l’Etat islamique.