Le chef de l’État rencontrera, mardi, le chef du bloc parlementaire du mouvement chiite pro-iranien, convié à la résidence des Pins parmi d’autres responsables politiques.
De notre envoyé spécial à Beyrouth,
Le Hezbollah a encore du mal avec la métaphore macronienne. «Il faut arrêter de discuter du sexe des anges», avait enjoint Emmanuel Macron aux chefs de parti, reçus à la résidence des Pins à l’issue de sa première visite le 6 août dans un Liban, meurtri par la tragique explosion qui avait tué près de 200 personnes, deux jours plus tôt au port de la capitale.
Sur un ton très ferme, le président de la République avait sommé ses interlocuteurs de s’engager sur la voie des réformes indispensables à la survie d’un pays au bord de la faillite. Parmi eux, Mohammed Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, demanda ensuite à des proches de lui décrypter cette image auquel un pieux musulman chiite n’est guère familier. Mais le représentant du Parti de Dieu pro-iranien, qui domine la scène politique grâce à son arsenal militaire, n’en voulut point à Macron. Et pour cause! Il eut droit, à l’issue de la rencontre, à un aparté de huit minutes avec le chef de l’État. Première fois depuis la naissance du Hezbollah, en 1982, qu’un président français échangeait en direct avec un de ses membres. «Cela équivaut à une reconnaissance internationale», se félicitait quelques jours après un proche de la mouvance, classée terroriste par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
«Je veux travailler avec vous pour changer le Liban», lui avait dit Macron, selon une source française à Beyrouth. «Mais prouvez que vous êtes libanais, avait-il ajouté. Tout le monde sait que vous avez un agenda iranien. On connaît très bien votre histoire, on sait votre identité particulière, mais vous êtes libanais, oui ou non? Vous voulez aider les Libanais, oui ou non? Vous parlez du peuple libanais, oui ou non? Donc rentrez à la maison, avait recommandé Macron, quittez la Syrie et le Yémen, et faites le boulot ici pour construire un État parce que ce nouvel État va aussi bénéficier à vos familles».
Quelques instants après, lors de sa conférence de presse, Macron enfonçait le clou en réponse à une journaliste libanaise qui lui demandait s’il pouvait accepter des membres du «Hezbollah terroriste» dans un futur gouvernement. «Le Hezbollah a des députés élus par les Libanais, il fait partie de la scène politique», assurait Macron. Sous-entendu: je ne peux pas le rayer de la carte. Message bien reçu au fief du parti dans la banlieue Sud. Le lendemain, Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, saluait «la visite positive» de Macron. «Emmanuel Macron a réellement une approche différente de celle des États-Unis, se félicite l’analyste Walid Charara, proche du Hezbollah. Après l’explosion, il a dit publiquement aux Américains que leur politique de pressions allait échouer, qu’ils allaient étouffer le Liban, et que la seule force qui ne s’effondrerait pas, c’est le Hezbollah.»
Mais il en faut beaucoup plus pour briser la méfiance réciproque, comme le rappelle une note de cadrage du ministère des Affaires étrangères en date du 23 janvier 2019 adressée au chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, qui appelle à «exercer (…) des pressions (…) sur les acteurs qui entravent le bon fonctionnement des institutions et perturbent les équilibres traditionnels du pays: Gebran Bassil (alors ministre des Affaires étrangères) et le Hezbollah». En coulisses, des messages ont été passés ces dernières semaines entre Paris et la formation chiite. Selon la source française précitée, «Macron leur a dit en substance: on ne vous ennuie pas sur la question de vos armes et sur deux ou trois points qui vous importent ; mais en contrepartie, vous mettez de l’oxygène dans le système. Acceptez de jouer le jeu, car on ne peut plus continuer comme cela, et vos partisans couleront avec le système.»
Réparer les dégâts
Certes, le Hezbollah, dont les circuits financiers échappent au système bancaire, n’est pas visé par la menace d’Emmanuel Macron de sanctionner les responsables libanais, s’ils s’obstinaient à refuser «le nouveau contrat politique» qu’il appelle de ses vœux. Mais dans la bataille qui s’est engagée pour choisir un nouveau premier ministre à la place de Hassan Diab, démissionnaire, le Hezbollah est, dans un premier temps, resté sourd aux appels de Paris. «Fort de l’accord Chine-Russie-Iran, il se sent pousser des ailes», regrettait le 15 août un diplomate. «Pourtant, l’explosion du 4 août l’a affaibli», ajoutait-il.
De nombreux Libanais lui imputent une part de responsabilité. Pour la première fois, le 8 août, l’effigie de Hassan Nasrallah fut exhibée au bout d’une corde par des centaines de manifestants en colère. «Beaucoup lui en veulent, y compris pour son bilan politique car il cogérait le pays», constate le diplomate. Sous l’effet de la déflagration, le Parti de Dieu a commencé de perdre sa couverture chrétienne. Son allié, le Courant patriotique libre de Gebran Bassil, gendre du président de la République, Michel Aoun, se fissure. Quant au patriarche maronite, Mgr Bechara Boutros Rahi, qu’Emmanuel Macron rencontre ce mardi, il appelle, désormais, à se distancier de la milice pro-iranienne.
Fort de sa supériorité militaire, le Hezbollah a toujours été pour un État faible et des dirigeants sans grande volonté politique. Saad Hariri, l’ancien premier ministre, remplit cette case: jusqu’à ces derniers jours, le Hezbollah le soutenait, avant de se raviser et d’accorder sa bienveillance à Mustapha Adib, choisi lundi par les ténors sunnites.
Son futur gouvernement de mission souhaité par Paris n’est pas encore formé. Le Hezbollah n’y était, jusqu’ici, guère favorable. Il a adouci sa position. «Le Hezbollah veut un gouvernement qui réussisse tout d’abord à réparer les dégâts causés par la catastrophe du port, puis qu’il pose des jalons pour l’avenir», souligne Walid Charara. Mais il restera vigilant sur le contenu des réformes qui seraient proposées au Parlement, présidé par son allié le président de la chambre, Nabih Berri.
Mohammed Raad aura-t-il droit ce mardi soir à un nouvel aparté avec Emmanuel Macron à la résidence des Pins? La formation chiite est prête à un pas de deux avec lui, mais elle s’interroge. «Est-ce qu’il y a un mandat américain pour soutenir les efforts français?», se demande Walid Charara. En attendant, la veille de l’arrivée de Macron, Hassan Nasrallah a affirmé qu’il était prêt à discuter du «nouveau contrat politique» que le chef de l’État tente de mettre sur pied au cours de sa visite au Liban. «À condition qu’il s’agisse d’un dialogue libanais et que ce soit la volonté de toutes les parties libanaises», a ajouté Nasrallah. Un oui mais, en quelque sorte.