Le haut clergé chiite est à son tour entré dans la bataille… Après les grands ayatollahs Hossein Ali Montazeri, Nasser Makarem Chirazi et l’ayatollah Asadollah Zanjani, un quatrième haut religieux, l’ayatollah Abdolkarim Moussavi Ardebili, a adressé une injonction au pouvoir islamique lui demandant d’examiner avec soin les plaintes des candidats contestant les résultats de l’élection présidentielle et de rendre un «verdict convaincant». Ces prises de position sont pour le moins inhabituelles, la haute hiérarchie chiite répugnant, sauf lorsque la situation est gravissime, à commenter publiquement les affaires politiques. Ces exhortations ne vont pas jusqu’à demander l’annulation du scrutin et un nouveau vote, comme l’exige Mir Hossein Moussavi, mais elles laissent clairement entendre qu’il y a eu une lourde fraude aux élections.
C’est Montazeri, une des plus hautes autorités spirituelles chiites, qui est allé le plus loin mardi dans sa dénonciation du trucage en décrivant les résultats comme «quelque chose qu’aucun esprit sain ne peut accepter».«Malheureusement cette excellente opportunité [de l’élection, ndlr]a été utilisée de la pire façon qui soit», écrit le religieux, qui fut pressenti pour succéder à l’imam Khomeiny avant d’être écarté du pouvoir et longtemps assigné à résidence.
Manipulation. Jour après jour, de nouveaux éléments témoignent de l’ampleur de la manipulation. Selon des informations recueillies par Libération, l’après-midi du scrutin, vers 17 heures, des bassidji («volontaires» des milices islamiques) ont pris le contrôle des terminaux de totalisation des votes au ministère de l’Intérieur, chassant les fonctionnaires qui travaillaient à ce poste. C’est un fonctionnaire de ce même ministère qui a prévenu le camp réformateur. D’autres fuites vont révéler les vrais chiffres obtenus par les quatre candidats (Libération de mardi) : en tête vient Moussavi avec un peu plus de 19 millions des suffrages (sur 42 millions), devant le second candidat réformateur, le religieux Mehdi Karoubi, avec plus de 13,38 millions de voix ; Ahmadinejad n’arrive qu’en troisième position avec 5,77 millions de voix ; le quatrième candidat, Mohsen Rezaï, ex-leader historique des pasdarans – les gardiens de la révolution – occupe la dernière position avec 3,74 millions de voix.
Prévenu qu’il est arrivé en tête, Moussavi va immédiatement se proclamer victorieux avant d’être rapidement démenti par Ahmadinejad, puis par le Guide suprême Ali Khamenei, qui va entériner le succès du président sortant, parlant même de victoire tombée du ciel.
L’auteur des «fuites», fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, semble avoir été arrêté dès le lendemain. Des témoins l’ont vu empoigné par des policiers au moment où il s’apprêtait à sauter du neuvième étage du bâtiment. Depuis, on ignore ce qu’il est devenu.
Toujours selon nos informations, les bassidji ont aussi fait main basse sur une partie des urnes qu’ils ont fait disparaître – ce qui explique que les résultats ville par ville et région par région ne sont toujours pas connus, même ceux de Téhéran. L’agence officielle Irna a remplacé les résultats manquants par des chiffres totalement abracadabrants, allant jusqu’à affirmer que Moussavi, Karoubi et Rezaï avaient été battus dans leurs villes natales.
Intimidation. Si les urnes ne sont pas rendues, on voit mal dans ces conditions comment le Conseil des gardiens de la Constitution pourrait procéder à un réel recomptage des voix. D’où l’hypothèse que l’annonce de celui-ci ne servirait en fait qu’à gagner du temps. En attendant, l’intimidation reste de rigueur. Hier, un religieux, intervenant à la télévision nationale, a fait savoir que toute fitna (sédition) était passible de «la peine de mort».