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Le Liban, «château d’eau du Moyen-Orient», menacé par la sécheresse

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À SAADNAYEL, dans la Bekaa centrale, cela fait sept mois que les habitants n’ont plus d’eau alors que les températures frôlent les 36-38 degrés. Dans les champs, qui parsèment encore cette ville de 50 000 habitants (dont la moitié de réfugiés syriens), les cultures ont jauni prématurément. « Une vraie désolation », témoigne Moussa Choubassi, 72 ans, revenu dans la ville de son enfance après trente ans aux Pays-Bas. Un paradoxe pour un pays considéré comme le « château d’eau du Moyen-Orient » du fait de ses réserves : 2 000 sources, 40 cours d’eau et 4,5 milliards m3 d’eau renou­velables par an. La Syrie et Israël, avec lesquels le Liban partage certains fleuves (voir infographie) et qui vivent déjà en situation de « stress hydrique extrêmement ­élevé » selon un rapport du World Resources Institute de 2019, en convoitent la relative abondance

 

Mais au Liban aussi, certaines régions comme la Bekaa, où la vie locale se concentre sur l’agri­culture et l’élevage, sont déjà ­confrontées à des épisodes de ­sécheresse et menacées de désertification. « L’eau reste abondante, mais elle est gaspillée. Dans la ­Bekaa, la consommation dépasse aujourd’hui les ressources dispo­nibles », relève Serge Harfouche, membre de Buzuruna Juzuruna (« nos graines, nos racines »), une ferme-école installée à Saadnayel qui tente d’introduire l’agro­écologie dans le pays. Les nappes phréatiques ne s’y renouvellent plus tandis qu’un quart des sources et des cours d’eau sont pollués par la présence de nitrates d’origine agricole et de bactéries fécales liées aux rejets des eaux usées sans traitement. « Ici, on cuisine à l’eau en bouteille », prévient Bassima, l’épouse de Moussa Choubassi.

S’ils sont en partie responsables, l’absence de partenariats transfrontaliers et le changement climatique en cours ne sont pourtant pas la cause directe de l’actuelle pénurie : c’est la crise que traverse le pays depuis 2019 qui a entraîné le quasi-effondrement des services d’approvisionnement, de distribution et de retraitement des eaux du pays, auparavant déjà en piteux état.

« Marchands de la soif »

En pleine déroute financière, la compagnie nationale Électricité du Liban (EDL) rationne le courant des stations de pompage : moins de 30 % de ce qu’elle leur attribuait avant 2019, selon le minis­tère de l’Énergie et de l’Eau. « Sans mazout, pas d’électricité. Sans électricité, pas d’eau », résume Bassima Choubassi. Le recours aux géné­rateurs privés, qui suppléent en partie EDL en matière de courant, est une alternative trop onéreuse ici. « Il faudrait 1,5 million de dollars par an pour une station comme celle dont dépend Saadnayel, justifie l’ingénieur de l’un des principaux opérateurs sous couvert d’ano­nymat. Or on a zéro budget. » ­Résultat : la population se retrouve à la merci des propriétaires de ­camion-citerne, qui ­opèrent ­comme la « mafia des générateurs ». La plupart d’entre eux puisent abondamment dans les nappes phréatiques en creusant des puits illégaux, sans avoir à contrôler la qualité de l’eau ­distribuée, souvent impropre à la consommation, ni les quantités prélevées.

Ces « marchands de la soif » imposent leur monopole ­lucratif – leurs tarifs ont sextuplé depuis 2019 – avec l’assentiment des autorités, qui entérinent une privatisation de facto du secteur. « On paie 150 000 livres libanaises (5 dollars, NDLR) les 1 000 litres d’eau non ­potable », dénonce Moussa. Dans d’autres régions, les prix grimpent jusqu’à 700 000 livres libanaises (23 dollars). Un tel coût est prohibitif pour la majorité obligée de se rationner. L’Unicef estimait en 2021 qu’un quart de la population libanaise ­vivait déjà avec moins de 35 litres d’eau par jour (la quantité minimale acceptable pour survivre ­selon l’organisation), ­menacée de devenir de nouveaux déplacés ­climatiques. « Certaines terres ne sont plus cultivées : l’eau est devenue trop chère », ajoute Serge ­Harfouche. Si rien n’est fait, c’est l’avenir agricole de la Bekaa qui est en jeu.

À Saadnayel, dans le quartier où vit le couple, celui qui s’occupe du générateur a promis d’acheter une pompe solaire afin de remettre en service l’un des puits. Dans la ­plupart des régions, les appels à la générosité de la diaspora ou à de riches hommes d’affaires se ­multiplient pour remplacer l’État défaillant.

Infrastructures « dormantes »

Cela ne règle pas le problème de la raréfaction de la ressource sur le long terme. La réouverture de puits pourrait même accélérer son ­épuisement : comme de nombreux autres (80 000 puits dénombrés au Liban, les trois quarts illégaux), il plonge jusqu’à 400 mètres dans les entrailles de la terre afin de prélever toujours plus de ressource souterraine. « L’imperméabilisation des sols due à l’urbanisation sau­vage empêche l’eau de surface de s’infiltrer dans le sol. On doit donc creuser 200, parfois 400 mètres en profondeur, pour atteindre les nappes », note Serge Harfouche.

Seule une gestion nationale ­voire régionale des ressources ­hydrauliques pourrait éloigner le risque. « Or celle-ci est inexis­tante », dit-il. Au Liban, 10 % seulement de la ressource sont exploités, le pays affichant un taux de déperdition d’au moins 50 % des précipitations annuelles et de 40 % dans les réseaux d’adduction vétustes. Plusieurs plans ont été envisagés et des milliards de dollars, financés largement par l’aide internationale, dépensés dans la construction et la réhabilitation d’infrastructures. Sans aucun effet. Sur ce dossier comme sur tant d’autres, l’incurie du pouvoir et la prévalence des intérêts privés ­paralysent toute action.

Une grande partie des fonds a servi à des infrastructures « dormantes » : des usines retraitant les eaux usées jamais raccordées aux égouts, des barrages dont les fuites permanentes empêchent le remplissage… Une gabegie d’autant plus lamentable que la passation de ces contrats publics est fortement entachée de soupçons de corruption.

À défaut d’une gestion intégrée au niveau national et d’une gouvernance à l’échelle régionale, ces pénuries alimentent déjà les conflits locaux entre communautés et contribuent à un nouvel exode rural, qui renforce la paupérisation des périphéries urbaines. Dans l’ouest de la Bekaa, des hommes sont ainsi morts l’hiver ­dernier pour avoir tenté de puiser l’eau d’un village voisin. « Certaines régions ont dilapidé leurs ressources et viennent maintenant toquer à notre porte, exigeant qu’on partage. Il n’en est pas question », avance Michel Skaff, grand propriétaire terrien à Ammiq, dans l’ouest de la Bekaa, à quelques kilomètres de Saadnayel. « Que cela soit très clair : nous sommes prêts à nous battre pour notre eau. »

Le Figaro

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