Le pays est actuellement en « mode pause » et le restera tant que certaines composantes politiques continueront de faire prévaloir l’agenda extérieur sur les intérêts nationaux, et ce aux dépens du principe de l’État et du respect de la loi.
Tel est le constat que fait un ancien responsable qui estime que le recul de la logique de l’État est le résultat de l’échec des forces souverainistes à préserver le Liban de la guerre des axes dans la région et à faire prévaloir le principe de la distanciation par rapport aux axes iranien et américain que les différents camps politiques ont fini par endosser, occultant les intérêts du pays.
Les deux épisodes concomitants de Jahiliyé et de Beyrouth, qui se sont produits dimanche dernier, et les multiples défis sous-jacents lancés à l’État dans ce contexte sont annonciateurs d’un nouveau 7 mai (2008), voire d’un 6 février bis (1984), lorsque le mouvement Amal avait anéanti l’autorité de l’État.
En prenant l’initiative d’ôter les drapeaux libyens plantés dans les rues de Beyrouth en amont du sommet de la Ligue arabe du 20 janvier, pour les remplacer par ceux d’Amal, les partisans de ce mouvement ne faisaient que réitérer le scénario de 2007 à Beyrouth lorsqu’ils avaient brûlé le drapeau libanais, faisant prévaloir la logique milicienne sur celle des institutions.
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Par ailleurs, les discours prononcés dimanche dernier à Jahiliyé, lors de la commémoration du quarantième jour du décès de Mohammad Abou Diab, le garde du corps de l’ancien ministre Wi’am Wahhab, sont précurseurs d’une révolution blanche contre Taëf, mue par le souhait latent d’introduire des réformes à la Loi fondamentale. Des changements souhaités en vue de rectifier ce que certaines parties considèrent comme un déséquilibre au sein du pouvoir et une marginalisation politique d’une composante de la nation, en l’occurrence la communauté chiite. Celle-ci espère ainsi renverser le statu quo existant et rectifier les équilibres en s’arrogeant une plus grande participation au pouvoir et au processus de prise de décision.
C’est sous cette optique qu’il faudra interpréter les propos prononcés par les anciens ministres Wi’am Wahhab et Talal Arslane, qui ont laissé entendre qu’à défaut d’un gouvernement relevant du 8 Mars, c’est le chaos qui prévaudra. Ou encore le fait que le Liban doit s’engager dans l’axe syro-iranien et dans la résistance s’il ne veut pas affronter le vide institutionnel.
Les prises de position en flèche qui ont ponctué la cérémonie de Jahiliyé étaient destinées à saper l’État dans toutes ces acceptions, notamment à travers la campagne déchaînée orchestrée contre la magistrature et les services de sécurité que les autorités politiques ont été incapables de défendre.
Cette politique systématique visant à miner les fondements de l’État est également patente à travers l’attitude affichée par ceux qui s’opposent à la mise en place d’un gouvernement qui ne remplit pas les exigences du camp du 8 Mars. Désormais, il apparaît de plus en plus clair que les divergences politiques ne concernent pas tant les dossiers de la vie quotidienne des Libanais, tels que l’électricité ou les déchets, que les options stratégiques du Liban et le projet de l’édification d’un État souverain dont les décisions ne sont pas inspirées ou commanditées par l’extérieur.
Des accords bipartisans, tels que celui de Mar Mikhaël conclu entre le Hezbollah et le CPL en 2006, ont fini par se substituer à la logique des institutions en dotant les parties concernées d’une force supérieure à celle de la Constitution, de la loi et des institutions en vigueur. Cet accord a en outre permis de monopoliser la décision de la guerre et de la paix aux mains du parti chiite en l’arrachant des mains de l’exécutif.
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En définitive, le Hezbollah a fini par orienter cette entente en sa faveur en en extrayant les avantages qu’il souhaitait, renonçant à donner à l’autre partie ce qui était convenu dans le cadre de l’échange.
C’est ce qui a poussé le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil à affirmer, il y a quelques mois, que sa formation politique divergeait avec le Hezbollah autour d’un point majeur prévu à la quatrième clause de l’accord, et qui est la promesse de l’édification de l’État.
À ce jour, le tandem chiite continue de miser sur son surplus de pouvoir pour poursuivre sa politique de sape de l’État, comme cela s’est récemment vu à la faveur des velléités d’obstruction de l’organisation du sommet économique et social arabe. L’insistance du Hezbollah et du mouvement Amal à vouloir imposer la participation de la Syrie à cet événement et à interdire à la Libye d’y prendre part sont autant de signes de leur volonté de faire prévaloir la logique du fait accompli sur celle de l’État et des institutions.
Les derniers développements relatifs au sommet arabe ont fini par éroder la relation déjà vacillante entre le CPL et le tandem chiite accusé de chercher à saboter le sexennat de Michel Aoun. La tournée du sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires politiques, David Hale, a démontré à quel point la région est laminée par la guerre que se livrent les axes. La visite du responsable américain a coïncidé avec la montée de la tension à la frontière avec Israël provoquée par la découverte des tunnels creusés par le Hezbollah en direction du territoire de l’État hébreu.
Depuis la Maison du Centre où il s’est rendu hier, David Hale a adressé un message percutant en évoquant le « danger iranien » auquel fait face l’administration US dans le monde, le problème du financement du Hezbollah et l’existence d’« une milice qui se dérobe à l’autorité de l’État », une situation « inacceptable », selon lui.
Le diplomate a également saisi l’occasion pour envoyer un second message politique fort en soulignant que la future composition du gouvernement libanais intéresse les États-Unis, même si le processus de sa mise en place revient aux Libanais eux-mêmes.