a CIA est sur le point de sortir de ses placards des « squelettes » gardés depuis les heures les plus sombres de la guerre froide : complots d’assassinat de dirigeants étrangers, kidnapping, journalistes sur écoute… Le directeur de l’Agence centrale de renseignement américaine, Michael Hayden, a annoncé, jeudi 21 juin, qu’il allait déclassifier, dans la dernière semaine de juin, un dossier de 693 pages compilant certaines des activités passées les plus douteuses de l’agence. L’essentiel était connu. Ce sont parfois les détails qui accablent.
Le dossier, ironiquement baptisé « bijoux de famille » à la CIA, avait été commandé le 9 mai 1973 par James Schlesinger, alors directeur de l’agence, dans le sillage du scandale du Watergate, qui avait mis en lumière le rôle de l’institution dans l’exécution des basses oeuvres du président Richard Nixon, contraint à la démission. Des éléments du rapport étaient parus le 22 décembre 1974 sous la plume du journaliste Seymour Hersh, qui travaillait alors pour le New York Times.
En avant-goût du grand déballage, réclamé depuis des années par les historiens, la National Security Archive de l’Université George Washington a rendu publics des documents éclairants. L’un d’eux, daté du 3 janvier 1975, est un mémorandum secret de six pages qui résume les activités illégales de la CIA, telles que décrites par le directeur de l’agence à des responsables du département de la justice. Il détaille 14 « squelettes » – le terme employé par l’agence.
La CIA a « comploté en vue de l’assassinat de dirigeants étrangers, y compris Castro (Fidel, le président cubain), Lumumba (père de l’indépendance de la République démocratique du Congo) et Trujillo (dictateur de la République dominicaine) », affirme le mémorandum, qui précise que l’agence n’aurait malgré tout eu « aucun rôle » dans l’assassinat de Patrice Lumumba en 1961 et seulement un « lien ténu » avec les assassins de Rafael Trujillo, la même année.
A partir de 1967 et 1969, la « couverture à l’étranger d’étudiants subversifs » et « les activités internationales de militants noirs et radicaux » ont fait l’objet de surveillances. Des agents de la CIA ont été infiltrés dans le mouvement pacifiste et ont recensé les noms de 9 900 Américains.
COURRIER DE JANE FONDA SAISIT
De 1953 à 1973, les services de contre-espionnage ont illégalement ouvert des courriers en direction et en provenance de la Chine et de l’Union soviétique, saisissant notamment quatre lettres destinées à l’actrice antiguerre Jane Fonda. Entre 1963 et 1973, la CIA a par ailleurs financé des recherches sur les modifications de comportement, auxquelles des citoyens américains ont participé à leur insu. Des tests sur les « réactions à certaines drogues » ont été menés.
De 1963 à 1972, plusieurs journalistes et éditorialistes en vue (Robert Allen, Paul Scott, Jack Anderson, Mike Getler) ont aussi été mis sur écoute ou pris en filature. Entre 1964 et 1966, un Russe, soupçonné d’être un faux transfuge, a, lui, été maintenu en détention, vraisemblablement en « violation des lois sur le kidnapping ». Autre pratique courante : en 1971, des agents de la CIA ont cambriolé les bureaux d’une ex-employée de l’agence parce qu’elle vivait avec un Cubain.
Dans une conversation retranscrite avec le président Gerald Ford, son secrétaire d’Etat, Henry Kissinger, prévient, le 4 janvier 1975 : » (Richard) Helms (ancien directeur de la CIA) a dit que toutes ces histoires n’étaient que la partie visible de l’iceberg. Si elles sortent, le sang va couler. Par exemple, Robert Kennedy (secrétaire à la justice de 1961 à 1964) a personnellement dirigé l’opération sur l’assassinat de Castro. »
Les « bijoux de famille » de la CIA représentent « un aperçu d’une époque très différente et d’une agence très différente », a déclaré, jeudi, Michael Hayden. L’histoire le dira.
Philippe Bolopion
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3222,50-927273,0.html