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En Russie, le désastre du Covid-19 masqué par les chiffres officiels

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ENQUÊTE – Les malades morts de la pandémie seraient de trois à sept fois plus nombreux que ne le disent les autorités, selon des experts indépendants, dans un pays où divers facteurs, tels que l’absence de transparence et la «verticalité» du pouvoir, contribuent à camoufler une situation sanitaire souvent catastrophique.

 

 

À Moscou

Drôle d’endroit pour un hôpital. Au sud de Moscou, vers l’aéroport de Domodedovo, l’un des quatre établissements provisoires de soins contre le Covid de la capitale a été installé… dans un garage. Face à la seconde vague de la pandémie qui sévit en Russie et des contaminations qui explosent, d’autres «hôpitaux de réserve», représentant au total 6000 lits, ont également été installés cet automne sur une patinoire ou au VDNKh, le parc des expositions de Moscou. Le «centre auto», comme on l’appelle, comporte six étages divisés en plateaux de 25 lits avec des box équipés chacun en oxygène. Au total, 1800 lits et 57 chambres pour des patients en soins intensifs, le tout «occupé actuellement à 40%», explique Evguéni Belikov, 33 ans, le médecin chef adjoint de l’hôpital. Cent quatre-vingt-dix soignants dont une cinquantaine de médecins ont été mobilisés depuis l’ouverture de l’hôpital, le 19 octobre. Dans le sous-sol du «garage», médecins et infirmiers, certains visiblement épuisés, récupèrent allongés sur des canapés, d’autres revêtent leur combinaison de protection avant de reprendre leur service dans les étages. Personnels soignants, médicaments, oxygène… le docteur Belikov affirme ne manquer de rien, mais refuse de s’étendre sur les problèmes rencontrés. Selon les chiffres fournis la semaine dernière, 1673 patients avaient été accueillis, 1 058 ont pu quitter l’hôpital et un seul est décédé.

Carences criantes en personnels de santé

Sans feu vert officiel, les médecins ne sont pas autorisés à parler aux journalistes. Si la presse est la bienvenue dans les «hôpitaux modèles» de Moscou, il n’en va pas de même en province où la situation est souvent catastrophique: hôpitaux surchargés, patients allongés dans les couloirs, manque de médicaments et d’oxygène, morgues qui débordent… Comme le soulignent les spécialistes, plus de la moitié des personnes infectées pendant cette seconde vague du virus se trouvent en région et pâtissent d’infrastructures de santé dégradées, alors que la première vague, au printemps, a surtout concerné les villes de Moscou et Saint-Pétersbourg, mieux dotées.

Des vidéos «volées» sont devenues virales sur le Net russe, comme celle de cette femme de 90 ans, malade, à qui un personnel impassible refuse son admission dans un hôpital d’Abakan, en Khakassie, une petite République de Sibérie où les moyens de l’armée ont même dû être déployés. «Dans plus de trente régions le taux d’occupation des lits Covid est supérieur à 90 %», relève Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou. Des témoignages affluent sur la grande misère des malades du Covid en Russie. «En avril, nous avions 30 patients arrivant en urgence chaque jour, actuellement c’est entre 110 et 120», témoigne Sergueï, un médecin en soins intensifs de Novossibirsk. «Nous avons aujourd’hui 250 patients pour 120 lits, les gens sont dans les couloirs, sur des canapés et des brancards, en attendant qu’une place se libère», ajoute-t-il. La Bouriatie, près du lac Baïkal, connaît une progression vertigineuse de l’épidémie, et la Mongolie voisine a bouclé ses frontières avec la Russie. À Perm, dans l’Ouest, d’autres témoignages indiquent qu’«on peut attendre une ambulance des heures, voire des jours (…) et que, face à l’afflux de malades, même des patients atteints de graves lésions pulmonaires n’ont plus accès au scanner». Plus d’une douzaine de régions seraient en proie à une pénurie dramatique d’antibiotiques, d’antiviraux et d’autres produits utilisés dans la lutte contre le Covid-19, relève l’agence Reuters. Le docteur Anastasia Vassilieva, qui dirige le syndicat Alliance des médecins, pointe les carences criantes en personnels de santé et la protection insuffisante des soignants. «Les médecins qui travaillent en zone rouge n’ont pas de combinaisons de protection de bonne qualité, celles qu’on leur donne se déchirent tout de suite», explique-t-elle au Figaro.

Les ravages de la pandémie en Russie sont accentués par d’autres facteurs qui se cumulent: l’absence de transparence, les déséquilibres entre le centre et la périphérie, l’état déplorable des hôpitaux et cette «verticalité» du pouvoir qui fait des gouverneurs régionaux des exécutants redoutant d’être débarqués du jour au lendemain par le Kremlin et donc prompts à enjoliver leur bilan… Vladimir Poutine lui-même l’a récemment relevé. «Il n’est pas nécessaire d’essayer d’embellir la situation et il est inacceptable de prétendre que tout va bien. Personne n’a besoin de bons rapports, de dissimulation, ni ici, au centre, ni sur le terrain», déclarait-il récemment à l’intention des chefs de région. En Russie, comme ailleurs, le gouvernement est pris entre la préoccupation sanitaire et la volonté de limiter les effets sur l’économie. Le Kremlin a fait savoir qu’un nouveau confinement n’était pas à l’ordre du jour. Seules quelques restrictions ont été mises en place, comme la fermeture des lycées à Moscou et la consigne aux personnes de plus de 65 ans de rester chez elles (leur carte de transport a d’ailleurs été bloquée). Longtemps insouciants en apparence, une majorité de Russes craignent maintenant d’être infectés, selon un récent sondage de l’Institut Levada. Dans le métro de la capitale, quasiment tous les voyageurs portent un masque, ce qui était loin d’être le cas il y a encore peu.

Malgré cela, le bilan officiel est à la hausse: 24.326 nouveaux cas mardi dont 5 838 à Moscou, portant le nombre de personnes touchées par le virus à plus de 2 millions et celui des morts à 37 031, dont 491 mardi, un record. La Russie se situe au cinquième rang des pays les plus touchés, derrière les États-Unis, l’Inde, le Brésil et la France. Des chiffres que certains jugent très sous-évalués. «Les statistiques de Rospotrebnadzor (l’agence officielle chargée de la santé, NDLR) sont un mensonge complet», affirme Alexeï Rakcha, un ancien démographe de Rostat (l’Insee russe), licencié en juillet dernier. Selon ses calculs, fondés notamment sur les chiffres de l’état civil et des comparaisons de la surmortalité d’une année sur l’autre, la Russie a enregistré depuis un an une surmortalité de 330 000 décès, dont 80 % (264 000 décès) dus au Covid, soit pas loin de… huit fois plus que le bilan officiel. «Les régimes autoritaires veulent toujours mettre en avant une image positive», invoque le démographe pour toute explication. D’autres experts, sans souscrire aux chiffres officiels, considèrent toutefois qu’il serait plus raisonnable de les multiplier seulement par deux ou trois.

Fraude manifeste

Alexeï Rakcha est beaucoup plus pessimiste. En comptant les décès de novembre (pic de la deuxième vague) et en anticipant ceux de décembre, il évalue à 300.000 le nombre de morts pour l’année 2020. «Avec moitié moins de population que les États-Unis (147 contre 328 millions), la Russie compte ainsi un peu plus de morts qu’eux (264.000 contre 252.000, le 20 novembre)», affirme-t-il. Selon Alexeï Rakcha, 70 % des morts du Covid ne sont pas enregistrés comme tels à Moscou et 80 % en province. Une «manipulation» qui s’appuierait sur la méthodologie du ministère russe de la Santé privilégiant les facteurs de comorbidité. La Bouriatie n’a ainsi enregistré officiellement que 67 morts du Covid. En revanche, les décès par pneumonie ont bondi de 35 %. Un autre expert indépendant, Alexeï Kouprianov, traque aussi le trucage des données réelles en pointant l’absence de variation des chiffres d’un jour sur l’autre, signe pour lui de fraude manifeste. Il s’appuie sur un algorithme utilisé par les observateurs indépendants lors des élections, et affirme que les régions où les scrutins sont les plus «honnêtes» sont aussi celles publiant souvent les chiffres du Covid les plus exacts: Carélie, région de Pskov, Altaï et Kalmoukie constitueraient un groupe «vertueux» récemment rejoint par Moscou, dit-il. En revanche, Saint-Pétersbourg, Orenbourg, Voronej et Tambov comptent parmi les mauvais élèves.

Même manque de transparence concernant le vaccin russe. Moscou a devancé ses concurrents en annonçant deux produits anti-Covid, Spoutnik V – référence au premier satellite artificiel de l’histoire lancé par l’URSS – «efficace à 95 %», et EpiVakCorona, mis au point par le fameux laboratoire secret Vektor, à Novossibirsk. Ces deux vaccins sont toujours en cours d’essais cliniques (phase 3). Cela n’a pas empêché le directeur de l’Institut Gamaleya de Moscou, qui a élaboré Spoutnik V, d’annoncer qu’un million et demi de Russes seraient vaccinés d’ici à la fin de l’année, avant une campagne massive début 2021. «C’est stupéfiant, le ministère de la Santé a enregistré ces deux vaccins avant même la fin des essais cliniques et alors que nous n’avons quasiment pas d’informations sur leur efficacité, ou leur danger, ce qui favorise toutes les rumeurs», s’étonne Irina Iakoutenko, biologiste moléculaire et journaliste scientifique. Pour la Russie, relève-t-elle, «l’essentiel est d’être le premier pays à créer le vaccin, c’est une question économique mais surtout de prestige».

LE FIGARO

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