Depuis longtemps, il manquait à la coterie personnelle de Hassan Nasrallah un personnage haut en couleur qui vienne renflouer d’un sang nouveau le cheptel d’apparatchiks dont la fatuité voluptueuse commençait à distiller l’ennui. Le résistant meurtrier qu’il vient de prendre sous ses ailes représente exactement le faire-valoir dont il rêvait. En plus, il tombe au bon moment.
Pour l’extraire de la cellule douillette où il roupillait depuis 46 ans, il aura fallu que 1200 Libanais périssent sous les bombes israéliennes. Jamais sacrifice n’a été aussi énorme pour récupérer un assassin ordinaire.
L’État hébreu n’a jamais été avare dans ses trocs pour récupérer des cadavres ou des bouts de cadavres, mais Hassan Nasrallah fait nettement mieux. Il n’hésite pas à sacrifier massivement les siens pour récupérer un simple prisonnier. Qu’est-ce que cela sinon de la générosité désintéressée ou, mieux encore, de la bonté divine par procuration !
C’est cette équation morbide qui définit la véritable valeur du « doyen des prisonniers » et non pas les cadavres des deux soldats dont l’enlèvement a été à l’origine du carnage israélien. Bien entendu, le chef de la milice de Dieu n’en a cure. Il lui suffit d’avoir prouvé une nouvelle fois qu’il était capable d’honorer ses promesses « sincères ».
Au-delà de la gloire et de l’exploit médiatique, Hassan Nasrallah récupère un homme au potentiel garanti. L’assassin notoire, que des idiots ont osé qualifier de « Mandela arabe », représente pour lui une valeur d’usage (ou d’utilité, selon Karl Marx) au rendement sûr.
Dès le premier instant, personne ne manquait à l’appel, les trois premiers personnages de l’État engoncés dans leurs principes consensuels, mais aussi les chefs de factions sectaires et néanmoins « indépendantistes » qui ont subitement oublié leurs griefs contre la milice de Dieu et sont venus se bousculer sur le tarmac de l’aéroport pour participer à la plus grande esbroufe jamais organisée pour accueillir un terroriste maquillé en héros.
Depuis, ce sont des norias de fervents admirateurs, subjugués d’avance, qui n’arrêtent pas de défiler devant le terroriste trimballé de village en village comme une bête de scène. On comprend mieux ainsi pourquoi Hassan Nasrallah tenait absolument à le récupérer. Grâce à lui, il peut désormais damer le pion à tous ses adversaires et clouer le bec aux plus récalcitrants d’entre eux.
Qui ose encore contester l’efficacité du Hezbollah ? Et qui s’aventurerait à jouer le trouble-fête et briser le consensus national ? Il fallait voir le chef druze accueillir à bras ouverts son coreligionnaire terroriste, qui ne s’est pas gêné de lui balancer en pleine figure l’attachement qu’il portait à ses pires ennemis, pour comprendre la peur panique qui n’arrête pas de le tarauder depuis que l’équilibre des forces a basculé.
Que notre assassin ordinaire ait fracassé le crâne d’une fillette à coups de crosse, n’est nullement répréhensible pour ces affamés de l’œil pour œil et dent pour dent. Bien au contraire, pour eux, c’est le summum de l’héroïsme !