L’ancien colonel syrien, Anwar Raslan, ici jeudi à Coblence, est accusé de complicité de torture sur plus de 4000 détenus. POOL/REUTERS
Le procès historique de deux anciens membres présumés des services de renseignement de Bachar el-Assad s’est ouvert jeudi à Coblence.
Correspondante à Istanbul
C’est une première historique. Ce jeudi 23 avril s’est ouvert à Coblence, en Allemagne, un procès très attendu par les nombreuses familles des victimes du régime de Bachar el-Assad: celui de deux anciens membres des services de renseignement syriens accusés de crimes contre l’humanité. Anwar Raslan, le principal suspect, est accusé de complicité de torture sur plus de 4000 détenus. Cet ex-colonel dirigeait une prison à Damas où de nombreuses personnes arrêtées pour avoir simplement participé à des manifestations réclamant la liberté et la démocratie ont subi d’avril 2011 à septembre 2012 des actes de torture: coups de poing, de bâtons, de câbles ou de fouet, électrochocs, privation de sommeil pendant plusieurs jours, sévices sexuels…
Selon le parquet fédéral allemand, au moins 54 personnes auraient perdu la vie à la suite de ces sévices. Eyad al-Gharib, le deuxième prévenu, qui travaillait sous l’autorité d’Anwar Raslan, est accusé d’avoir, à l’automne 2011, participé à l’interpellation et à la torture «d’au moins 30 personnes», lors d’une manifestation à Douma, un fief rebelle situé dans la banlieue de Damas.
Des cellules de 50 m² pour 140 prisonniers
Les deux hommes, qui n’ont pas souhaité s’exprimer, avaient respectivement fui la Syrie en 2012 et 2013, craignant les représailles des combattants anti-Assad de l’Armée syrienne libre (ASL). Le premier est arrivé en Allemagne comme réfugiés en 2014, et le second en 2018. Leur arrestation a été rendue possible outre-Rhin en vertu du principe de la «compétence universelle», appliqué par l’Allemagne – et aussi par la France -, qui permet à un Etat de poursuivre, les auteurs de crimes contre l’humanité quelle que soit leur nationalité.
Cette première audience, qui s’est ouverte à 10 heures, a duré environ 1 heure et demi, selon Anna Oehmichen, l’avocate d’un des survivants qui était présente dans la salle. La séance a été l’occasion pour le procureur Jasper Klinge de revenir sur les conditions de détention «inhumaines» de la prison «251, située dans le nord de la rue de Bagdad, à Damas».
Placé comme le reste de la salle derrière une vitre en plexiglas, pour cause de coronavirus, Jasper Klinge a décrit des cellules de «50 m² dans lesquelles s’agglutinaient 140 prisonniers dans une chaleur incroyable», en revenant sur le rôle central des services de renseignement dans la répression sanglante du soulèvement anti-Assad de mars 2011. Devant six des nombreuses victimes qui se sont portées partie civile, il a aussi évoqué les électrochocs subis par les détenus, y compris sur une femme, également violée au cours d’un interrogatoire.
Ce procès inédit représente un tournant dans le long combat des militants démocrates syriens pour un début de justice. Pour l’avocat syrien Anwar al-Bunni, incarcéré dans les geôles du régime de 2006 à 2011, cette audience constitue «un message important» adressé aux dirigeants syriens et à leurs exécutants. «Elle va permettre de révéler la structure du régime et le système de torture. C’est important que tout cela soit exposé au monde entier», déclarait-il, il y a quelques jours, lors d’une visioconférence de presse organisée par le European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR).
«Ce procès a pour objectif de révéler la vérité. On peut espérer qu’il contribue à mettre un terme à l’impunité (des tortionnaires). Même si les principaux responsables ne font pas partie de ce procès, il revêt une importance symbolique», estime la juriste Anna Oehmichen, qui collabore également avec la fondation Open Society. «A une période où les Syriens ont le sentiment que la communauté internationale leur a fait défaut, ce procès ravive l’espoir que justice soit rendue dans une certaine mesure. Toutes les victimes et familles des victimes ont droit à la vérité, à des réparations et à la justice», insiste pour sa part Lynn Maalouf, directrice de recherches pour le Moyen-Orient à Amnesty International. Le procès, dont la deuxième audience se tiendra ce vendredi, pourrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années, estiment les experts.