A entendre les responsables des principales forces politiques, tout le monde pavoise bruyamment pour célébrer la victoire électorale de son camp politico-confessionnel. Est-ce à dire que la nouvelle loi électorale soit parvenue à renouveler l’establishment politique ?
Ceci se vérifie certes dans quelques cas mais qui ne changent pas vraiment la donne. L’impression qu’on tire est que l’Etat libanais, comme régulateur central de la vie politique, n’a pas été renforcé par ce scrutin. Les élections ont montré, a posteriori, le caractère fallacieux des prétextes avancés pour justifier la prorogation du mandat de la Chambre des Députés. Le Liban est en mesure d’organiser à n’importe quel moment un scrutin électoral, en un seul jour sur l’ensemble de son territoire. Le nouveau mode de scrutin ne semble pas avoir posé de gros soucis à l’électeur moyen. C’est le décompte des voix et la répartition des sièges, selon les règles de la proportionnelle adoptée, qui demeurent problématiques.
Dès lors, comment se présente le bilan politique de ces « noces de la démocratie », pour reprendre le slogan tant répété. Le moins qu’on puisse dire, est qu’il serait abusif d’y chercher un progrès quelconque. Tous les cris de victoire clament le triomphe du clanisme confessionnel. Le binôme chiite Hezbollah-Amal confirme son emprise incontestée sur la communauté chiite ainsi que son hégémonie sur l’ensemble de la vie publique, grâce à son arsenal illégal et son esprit milicien.
Le Mouvement du Futur (Mustaqbal), parti du premier ministre Saad Hariri, demeure le pôle principal de la communauté sunnite. Malheureusement, c’est son rôle national qui semble remis en cause. Est-il encore porteur du projet « Liban-Message » incarné par Rafic Hariri et les Accords de Taëf ? Ce parti a tant été harcelé qu’il est obligé aujourd’hui à ne plus être qu’un simple leadership sunnite, rôle que lui contestent d’autres forces sunnites qui demeurent des fidèles inconditionnels du régime de Damas et qui font un retour au Parlement libanais en compagnie d’autres figures non-musulmanes pro-syriennes.
Walid Joumblatt, quant à lui, parvient à préserver sa figure de premier chef de la communauté druze mais également son image de marque comme leader national.
En milieu chrétien, ce scrutin parvient à rééquilibrer les forces au sein du duopole formé des Forces Libanaises (FL) de Samir Geagea et du Courant Patriotique Libre (CPL) du président Michel Aoun et de son gendre Gebran Bassil. Alors que le CPL maintient ses positions, les FL font une percée spectaculaire en doublant leurs effectifs parlementaires. Ceci annonce sans doute de fortes luttes de rivalité. Quant aux autres forces politiques, leurs positions respectives demeurent quelque peu stables.
Dès lors, on pose la question : Mais qu’a donc produit ce scrutin ? La réponse est désarmante de simplicité. Le scrutin a confirmé la situation anormale qui prévalait avant, celle du délitement avancé de l’Etat libanais et de l’effacement quasi total de son rôle politique de régulateur central. La fonction présidentielle elle-même n’échappe pas à cet affligeant constat. Le Président de la République est le premier des maronites et des chrétiens, le Premier Ministre le premier des sunnites, le Président de la Chambre, le premier des chiites. On chercherait en vain un peuple libanais unifié dans cette triade : Chiite-Sunnite-Chrétiens sans oublier le quatrième mousquetaire, les Druzes. Mais où est donc passé l’Etat qui cimente toutes ces composantes ?
C’est Samir Geagea qui a le mieux décrit cette situation en proclamant que la priorité actuelle doit privilégier les services : routes, déchets, communications etc. Selon cette logique, il vaut mieux sans doute cohabiter de manière provisoire avec l’Etat-dans-l’Etat qu’est le Hezbollah, en attendant des jours meilleurs.
Hélas, les choses sont ainsi depuis 1968. La souveraineté libanaise demeure otage d’intérêts stratégiques hors-frontières. C’est précisément cela la « guerre des autres et pour les autres » de feu Ghassan Tueni.
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