LE MONDE | 29.04.2014
Par Cécile Hennion et Laurent Van Der Stockt
Jeudi 24 avril, après une semaine de bombardements sur Zabadani, à l’extrémité sud du massif du Qalamoun, le régime syrien annonçait sur l’air de la victoire la « capitulation imminente » de cette ville, la dernière le long de la frontière libanaise encore tenue par les rebelles.
Les télévisions officielles syriennes et iraniennes filmaient des « combattants repentis », rendant leurs armes contre la promesse d’une « amnistie ». Le lendemain, les bombardements reprenaient, tandis qu’aux derniers points de contrôle de la ville, de violents combats opposaient les brigades rebelles du Front islamique et d’Al-Nosra aux troupes loyalistes, appuyées par des hommes du Hezbollah.
Samedi 26 avril, un militant de l’opposition, Tayem Al-Qalamouni, a déclaré devant les caméras d’Al-Jazira : « Les combattants ont été forcés d’accepter la trêve. Toutes leurs lignes de ravitaillement étaient coupées et il n’y avait plus de corridors de secours pour évacuer les civils. »Zabadani, première cité de Syrie à être passée sous contrôle de la révolution, le 18 janvier 2012, avait déjà été reprise brièvement par les loyalistes.
L’opposition espère que sa chute, cette fois encore, ne sera que temporaire.
Pour Bachar Al-Assad, la séquence médiatique est incontestablement favorable. Alors que sa candidature à l’élection présidentielle a été annoncée officiellement lundi 28 avril, et après six mois d’offensive militaire sur le massif du Qalamoun, il peut prétendre avoir bouclé la frontière libanaise, coupant théoriquement la rébellion de ses bases arrières et sécurisant l’autoroute du nord, qui mène à Homs et, via la côte, à la région alaouite. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé la réouverture de cet axe, samedi 26 avril au soir.
Au-delà des discours triomphalistes de Damas, la réalité sur le terrain est plus nuancée. Une partie des combattants a préféré se replier dans les reliefs inaccessibles du Qalamoun ou dans les zones désertiques, de l’autre côté de l’autoroute. Cette région très étendue, au relief particulièrement accidenté, est difficilement tenable pour le régime, à moins d’y poster en permanence d’importants effectifs militaires – dont il ne disposerait plus actuellement selon l’opposition.
Depuis le début de l’insurrection, et contrairement aux rebelles du nord de la Syrie, qui bénéficient d’une continuité territoriale jusqu’à la frontière turque, les rebelles de la capitale et de ses faubourgs, la Ghouta, n’ont pas d’accès facile à un pays étranger.
Au nord-ouest, les montagnes du Qalamoun, trois aéroports militaires et onze bases de l’armée – occupées entre autres par des unités de blindés, d’artillerie, de missiles Scud, toutes sous le commandement de la IIIe division de l’armée d’Assad – les séparent du Liban.
Ils n’ont jamais eu d’accès direct pour leur ravitaillement en armes, en munitions et en vivres, ni pour l’acheminement de leurs blessés vers ce pays. Les combattants de la Ghouta pouvaient seulement contourner ces obstacles ou bien s’y faufiler.
Hamza analyse sans difficulté l’avancée des troupes de Damas dans le massif du Qalamoun. Proche d’un commandant de l’armée gouvernementale, il a rejoint la révolution dès la mi-avril 2011, à Homs. En juin 2013, il a rejoint sa ville de Rouhaybeh, au nord de la capitale, où, caméra au poing, il filme et combat avec l’Armée de l’islam, une katiba modérée, membre du Front islamique, la coalition de brigades rebelles la plus importante de Syrie.
Il évoque d’abord ceux qui ne sont plus là : Abou Khalil, son cousin à la bonne humeur indéfectible, mort d’une infection de la jambe restée sans soins, ou Abou Ghadab, tué dans les bombardements gouvernementaux dans Zamalka, un quartier à l’est de Damas. C’était un grand gaillard barbu avec des grappes d’enfants toujours accrochés à ses jambes. Hamza dit que les positions rebelles dans Damas et sa banlieue est n’ont pas bougé depuis un an, que les combattants sont quasiment encerclés, et qu’« ils mangent ce qui ne se ne mange pas : des racines, des arbres… ».
Hamza explique que dans le Qalamoun, « pour prendre Qara, continuer vers le sud en longeant la frontière libanaise et s’emparer d’Al-Nabak, Yabroud, Rankous et, aujourd’hui, Zabadani, l’armée de Bachar a, à chaque fois, employé la méthode de la terreur en bombardant d’abord avec des missiles, des barils de TNT, puis à l’artillerie. Ensuite, les batailles ont été planifiées et menées avec le Hezbollah, des mercenaires irakiens et d’autres étrangers ».
Certaines villes jouissaient d’une paix toute relative grâce à des arrangements informels avec les forces locales du régime, comme ne pas attaquer les convois lors de leurs passages sur l’autoroute de Homs pour, ainsi, éviter d’être bombardées. « Ces petits accords réduisaient les dispositifs de surveillance et l’attention des troupes gouvernementales sur les routes du Qalamoun, et permettaient à nos rebelles une circulation clandestine pour accéder au Liban, en particulier le passage vers la ville d’Ersal, de l’autre côté de la frontière », ajoute Hamza.
Selon Rima, une jeune syrienne de Damas venue au Liban pour ensuite rejoindre la rébellion à Yabroud, la bataille pour cette ville a été entachée de« trahisons dans les rangs de l’Armée syrienne libre (ASL) ».
Des tentatives de corruption du Hezbollah par les rebelles auraient échoué. Des combattants du Hezbollah auraient pénétré dans la ville vêtus d’uniformes de l’ASL, avant sa chute. Les rebelles manquaient d’armes lourdes et se seraient retirés de Yabroud après un mois de combats sous des bombardements intensifs. « Résister davantage aurait coûté trop de vies humaines », affirme Rima, qui ajoute : « Une partie des combattants s’est dirigée vers Ersal au Liban. Les autres, comme les hommes de la katiba Al-Ghouraba, originaires de Yabroud, installent des camps pour rester cachés dans les montagnes. »
Dans la guerre pour le contrôle du Qalamoun, l’entraide entre les différents groupes rebelles n’a pas toujours fonctionné. Les divergences d’objectifs de certains de leurs soutiens, comme le Qatar ou l’Arabie saoudite, se seraient ressenties sur le terrain. « On dit que des groupes recevant des aides saoudiennes seraient arrivés après la bataille », rapporte Rima. Selon les combattants de son entourage, les alliés du régime de Bachar Al-Assad auraient perdu 420 hommes et une vingtaine de chars auraient été détruits. Les rebelles syriens, pour leur part, reconnaissent avoir perdu une cinquantaine d’hommes.
De Rouhaybeh, encore tenue par les rebelles, Hamza explique que si les hommes de sa brigade étaient partis soutenir Yabroud, les troupes gouvernementales auraient attaqué leur ville en leur absence. « On a donc fait diversion en menant des opérations contre des unités et des dépôts d’armes de la région, explique-t-il. Cela nous permettait de mobiliser des forces ennemies qui ne pouvaient plus se rendre à Yabroud. Cela correspond aussi à notre tactique : ne pas affronter l’armée à nos portes, pour ne pas provoquer de bombardements sur notre ville. » Il ajoute : « Nous avons l’habitude des montagnes et du désert et nous partons en opération à l’extérieur. Nos Konkurs , nos dix tanks, nos munitions… nous les avons tous pris à l’armée syrienne. »
« BACHAR N’A PAS VAINCU »
« La tentative du Hezbollah et du gouvernement pour nous isoler est efficace, concède le jeune rebelle, mais en partie seulement. Nous avons encore la possibilité d’accéder à la Turquie ou à la Jordanie, par l’est. Vers la Turquie, la présence d’éléments de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) complique la route. Si on les rencontre, c’est la confrontation directe. Mais on finit par trouver des passages. Quant à la Jordanie, il y a toujours les pistes du désert. »
Sur le plan militaire, le résultat des opérations menées dans le Qalamoun depuis novembre 2013 par les forces du gouvernement reste discutable, mais sur le terrain de la propagande, la victoire est indéniable. Non seulement cela lui permet d’annoncer la reprise d’une région stratégique pour la survie du régime, mais cela lui a aussi donné l’occasion de parader devant les caméras, le 15 avril, dans les ruines de Maaloula, une petite ville à majorité chrétienne de la région. Le jour du dimanche de Pâques ne pouvait être mieux choisi pour soigner son image de protecteur des minorités religieuses du pays.