Un marché international, sans résistances régionales et avec une couverture locale, a placé Michel Aoun à la présidence de la République, garantissant également le retour de Saad Hariri pour former un cabinet, quand bien même le Hezbollah s’opposait à un retour de l’ancien Premier ministre au Grand Sérail. Or l’une des conditions du soutien du Futur à l’élection de M. Aoun était une position claire du Hezbollah en faveur du retour de M. Hariri au Sérail. Ce que le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a aussitôt fait, précisant qu’il n’avait rien contre un retour de Saad Hariri à la tête du nouveau cabinet, en dépit du « sacrifice consenti », mais opérant toutefois la différence entre la nomination de ce dernier et la formation du gouvernement en soi. La réponse de Riyad à ce bémol du Hezbollah concernant Saad Hariri aurait été le renouvellement par le royaume de sa détermination à se battre contre les activités terroristes du parti chiite...
Quoi qu’il en soit, l’ensemble des grands blocs ont plébiscité hier, de Baabda, le chef du Futur dans le cadre des consultations parlementaires, alors que le Hezbollah maintient le silence à ce sujet. Nul ne pense en effet que le processus de genèse du gouvernement puisse réellement être obstrué à l’heure actuelle, en dépit du climat politique quelque peu maussade qui règne sur la banlieue sud depuis l’élection de Michel Aoun. L’entretien de scénarii dramatiques par le tandem chiite permettrait à Amal et au Hezbollah de camper, à l’orée du nouveau mandat, sur le rôle de l’arbitre qui veille sur le bon fonctionnement de la situation. Une manière de compenser le soutien apporté par Samir Geagea et Saad Hariri à l’élection du président Aoun ; un soutien qui inquiète le Hezbollah, qui n’est pas du genre à partager ses victoires. Or, pour l’axe iranien, l’avènement de Michel Aoun ne saurait être considéré autrement que comme une victoire pour Téhéran et la ligne de la résistance, comme l’a dit Ali Akbar Velayati.
Le Hezbollah, qui a appuyé la candidature du général Aoun à la présidence de la République depuis 2014, ne peut pas semer des obstacles au nouveau mandat. Cela serait inconcevable. Dans ce cadre, les divergences entre le Hezb et le mouvement Amal concernant le gouvernement ne seraient qu’une soigneuse répartition de rôles. Nabih Berry soutiendra la candidature de Saad Hariri, et le parti chiite mettra ses voix à disposition du président Aoun, ce dernier étant libre d’en faire usage à bon escient. Car le Hezb ne peut pas rejeter une participation au cabinet. Il y mettra une condition : la nécessité de convaincre M. Berry de participer lui aussi.
Ce dernier, âpre négociateur, fera aussitôt monter les enchères, posant moult conditions, à l’instar, par exemple, d’une participation de Walid Joumblatt et de Sleiman Frangié au gouvernement. Pour ménager Michel Aoun et Nabih Berry, le Hezbollah demandera au président de la République de faire pression sur le Premier ministre désigné pour accepter les conditions et les demandes du président de la Chambre. En d’autres termes, c’est Nabih Berry qui se fera le porte-voix des revendications du Hezbollah que ce dernier n’exprimera pas, afin de ne pas mettre le parti en confrontation avec le président de la République. D’autant qu’il serait inadmissible que l’influence du Hezbollah transparaisse de manière aussi flagrante lors du premier gouvernement du nouveau mandat, qui plus est alors qu’il est toujours considéré, au double plan international et régional, comme une organisation terroriste. En bref, le Hezbollah se réfugierait derrière les positions de Nabih Berry pour créer des turbulences au niveau de la formation du cabinet tout comme il s’est longtemps dissimulé derrière la candidature du général Aoun à la présidence pour torpiller l’échéance présidentielle. En même temps, le Hezbollah a besoin de la couverture légale que constitue le gouvernement pour ses aventures anticonstitutionnelles en Syrie et ailleurs, ainsi que de la légitimité que lui confère le président de la Chambre, Nabih Berry.
En tout état de cause, c’est à la lumière de l’identité des ministres, de la répartition des portefeuilles et de la déclaration ministérielle que la communauté internationale décidera de l’attitude à adopter vis-à-vis du nouveau régime. Pour l’instant, au-delà des félicitations et de la bienséance – les messages adressés par les responsables du Golfe au président élu pourraient être de bon augure après des mois de froideur avec le Liban –, la prudence reste de mise. Le président Aoun est face à un nouveau défi : mettre en application la déclaration présidentielle de l’Onu appelant à la formation d’un nouveau cabinet au plus vite, tenir des élections législatives et respecter la politique de dissociation et la déclaration de Baabda. Le nouveau mandat, pressé de réussir, ne saurait ne pas capter les signaux que lui adresse la communauté internationale. Cela pourrait inciter le tandem Aoun-Hariri à rejeter de concert les conditions rédhibitoires et paralysantes face auxquelles ils pourraient se retrouver, ainsi que le tiers de blocage, une hérésie qui a fait son temps et causé suffisamment de méfaits par le passé. Michel Aoun et Saad Hariri souhaiteraient associer toutes les parties au gouvernement, sans exception, même ceux qui boudent aujourd’hui. L’objectif étant, avant tout et in fine, la consolidation du partenariat et le raffermissement du pacte national pour la relance du pays, sans inégalités.