Le projet de loi présenté lundi visant à assainir le secteur financier est indispensable pour ouvrir un plan d’aide du FMI.
Ce projet de loi n’est peut-être pas parfait (…) mais il constitue une feuille de route pour sortir de la crise. » C’est par ces mots que le premier ministre, Nawaf Salam, a défendu un texte destiné à tourner la page de l’une des crises les plus graves de l’histoire moderne du Liban. Depuis la cessation de paiements des banques en octobre 2019, les déposants ont perdu des milliards de dollars, l’économie s’est effondrée de plus de 40 % et l’inflation est galopante.
Depuis plus de six ans, le puissant lobby bancaire s’oppose à tout plan qui l’obligerait à assumer sa part des pertes tandis que la classe politique a préféré se réfugier dans des promesses de restitution intégrale de l’épargne de millions de Libanais plutôt que d’assumer ses responsabilités. Le coût du statu quo est jugé par certains plus excessif encore que la crise elle-même : en l’absence d’une loi de contrôle des capitaux, des transferts de richesse pour des milliards de dollars ont eu lieu en puisant dans les actifs encore présents dans le système financier en 2019.
Clore ce dossier est une étape sine qua non pour ouvrir la voie à un programme avec le Fonds monétaire international (FMI) sans le sceau duquel aucune aide externe ne viendra abonder les besoins de financement massifs du Liban. Échaudé par un accord préalable conclu en avril 2022 dont quasiment aucune condition n’a été mise en œuvre, le FMI s’est montré jusque-là très strict quant au respect des standards internationaux afin de protéger les déposants, garantir le rétablissement du crédit à l’économie et assurer la soutenabilité des finances publiques post-restructuration. Le texte présenté ce lundi en Conseil des ministres n’a pas reçu l’approbation préalable formelle du FMI et toutes les parties prenantes locales et internationales attendent son verdict.
La principale promesse du projet de loi est de garantir le remboursement étalé sur quatre ans des déposants, à hauteur de 100 000 dollars par personne. La mesure, conforme aux standards internationaux, couvrirait 85 % des déposants selon le premier ministre, mais aucune statistique explicitant la répartition des comptes et leur concentration n’a été rendue publique. En réalité, une grande partie des épargnants ont déjà perdu en six ans une bonne part de leur argent du fait de la décote imposée à chaque retrait de devises encadré par des circulaires de la Banque centrale tandis que les comptes en livres libanaises ont perdu 98 % de leur valeur.
Au-delà de ce seuil, le schéma devient plus complexe : les déposants reçoivent des titres émis par la Banque centrale avec des maturités très longues. Plutôt que de leur imposer une décote immédiate, le choix a été fait de leur garantir la valeur nominale de leurs avoirs, même si leur valeur réelle tombe à 15 % ou 30 % du montant initial selon les estimations. Ces certificats sont adossés aux actifs détenus par la Banque du Liban, en majeure partie constitués de ses importantes réserves en or dont le projet de loi autorise la liquidation (jusqu’à 75 %) en contradiction avec une de loi de 1986 interdisant formellement d’y toucher sans un vote explicite du Parlement. Une ambiguïté qui constitue l’un des principaux points explosifs de ce projet de loi : bien qu’inscrit à l’actif de la BDL, l’or constitue un bien commun national, et son affec‐ tation aux plus gros déposants, qui constituent une petite minorité de la population, suscite déjà des levées de boucliers.
« Transactions irrégulières »
Le projet de loi consacre en outre un volet substantiel à la traque de « transactions irrégulières » dont la radiation a l’avantage de réduire substantiellement les passifs. Sont notamment ciblés les transferts discrétionnaires de capitaux vers l’étranger après octobre 2019, les intérêts excessifs issus des « ingénieries financières » de l’ère Riad Salamé (l’ancien gouverneur de la Banque centrale, principal responsable de la pyramide de Ponzi qui a accéléré l’effondrement) ou encore les remboursements de prêts en monnaie dépréciée. Toutefois, faute d’audit comptable et juridique systématique des bilans financiers, cette traque est perçue comme un écran de fumée par plusieurs experts. Pour ces derniers, non seulement le périmètre est incomplet, mais les sanctions prévues manquent de sévérité.
La séquence du traitement de ces transactions fait aussi débat. La radiation de plusieurs milliards de dollars au motif d’irrégularité avant même l’imputation des pertes aux fonds propres des actionnaires est jugée contraire à la hiérarchie des créances en vertu de laquelle les droits des déposants l’emportent sur ceux des actionnaires en situation d’insolvabilité. La version finale du projet de loi reste ambiguë sur ce sujet jugé crucial par le FMI. Le texte accorde en outre cinq ans aux banques en mesure de survivre pour se recapitaliser. Un délai jugé excessif par plusieurs analystes, qui estiment que le rétablissement de la confiance dans le secteur passe par des injections de capital immédiates.
Enfin, le plan ne résout pas la question clé de la solvabilité et de la liquidité de la Banque centrale, la charge de couvrir ses passifs potentiels de plusieurs milliards de dollars étant reportée sur l’État. « Ce texte est une tentative pour régler une partie du problème en reportant l’essentiel à plus tard », commente un observateur. Même si le texte passe l’étape du Conseil des ministres, le passage au Parlement est loin d’être garanti.
