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Le Liban ne veut pas la guerre
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À Damas, le pouvoir paradoxal de Bachar el-Assad

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 ENVOYÉ SPÉCIAL A DAMAS

APRÈS bientôt sept ans de violences, et même si son pays est en grande partie détruit, Bachar el-Assad a gagné la guerre. Ses ennemis ont échoué à le renverser. Grâce à ses alliés iraniens et russes, qui ont volé à son secours à partir de 2013, le raïs ne devrait pas, sauf accident, quitter son palais sur le mont Qassioun d’ici au terme de son mandat en 2021. Mais son pouvoir, en partie restauré, est paradoxal. Assad reste, en effet, son principal ennemi.

« Maintenant, confie un de ses conseillers, tout le monde ou presque affirme que nous sommes légitimes. Nous pouvons donc dire non à ce qui se prépare, si cela nous déplaît. Avec les Russes, ajoute-t-il, les affaires stratégiques et militaires sont bien coordonnées. Mais dans le détail, il y a des hauts et des bas. Ils proposent une Constitution, on dit non. Ils proposent une conférence des peuples de Syrie, on dit non. On peut d’autant plus les contredire que la communauté internationale se dit attachée à l’unité de la Syrie. » Or cette unité est aujourd’hui incarnée par l’État. Un État, répressif, accusé d’avoir commis des crimes de guerre, mais qui n’a pas failli. À Damas et dans les grandes villes, l’électricité a été rétablie 24 heures sur 24, contrairement à l’Irak et au Liban voisins, rappellent de nombreux Syriens. Tandis que le cours de la livre a été stabilisé, grâce au démantèlement des réseaux clandestins de changeurs, qui spéculaient contre la monnaie.

Malgré ces avancées, sous la pression, Damas a dû admettre que la gouvernance de la Syrie de demain comporterait une dose de décentralisation, y compris pour les Kurdes du NordEst. Une couleuvre difficile à avaler pour un pouvoir baasiste, ultrajacobin.

Assad dit non à l’Iran

L’aide de l’aviation russe d’un côté, celle au sol des conseillers iraniens et des miliciens chiites du Hezbollah, de l’autre : Assad a su jouer sur les deux tableaux. « Plus il regagne de l’assurance, plus les Iraniens l’encouragent à dire non aux Russes », relève un ambassadeur à Damas. Par exemple, sur la refonte de l’armée, sujet sur lequel les deux alliés divergent. Selon cet observateur, « Assad est dans une meilleure position face aux Russes qu’avant. Imaginons, ajoutet-il, qu’il dise à Poutine d’arrêter de lui mettre la pression ! Poutine peut-il le lâcher ? Non. Bachar le sait et en joue. » Bref, toujours selon ce diplomate, « les Russes, si tant est qu’ils le veuillent, n’arriveront pas à le mettre dehors à la fin de la transition, si jamais il y en a une. Et de toute façon, Bachar ne pense pas une seconde à quitter le pouvoir ».

Même face aux Iraniens – en qui il a plus confiance parce qu’il les sait davantage attachés à sa personne – Assad peut se rebeller. Deux exemples récents le montrent. Damas a refusé que Téhéran nomme un ambassadeur issu comme le précédent des gardiens de la révolution, qui aident l’armée contre les rebelles. « Le précédent était un peu arrogant, affirme un journaliste, il disait en privé que notre armée ne combattait pas. Les Syriens ont alors fait fuiter dans la presse qu’il allait partir. » Au final, Assad a eu gain de cause, le nouvel ambassadeur iranien est un diplomate de carrière.

L’autre refus concerne la demande iranienne de renouer avec le Hamas, le mouvement islamiste palestinien, dont la direction était abritée à Damas jusqu’à leur basculement en 2011 du côté des insurgés. « Comme eux-mêmes l’ont fait avec le Hamas, explique ce journaliste, les Iraniens ont voulu convaincre Assad d’en faire autant, mais il leur a dit que c’était impossible. Le Hamas était allé trop loin contre lui. Ce sont les islamistes palestiniens qui ont formé les rebelles à la technique des tunnels. Finalement, les Iraniens n’ont pas trop insisté. »

Curieux ménage à trois. À l’image de nombreux Syriens, Bachar se méfie de l’agenda politico-religieux iranien, alors qu’il n’a pas cette crainte avec la Russie. Mais il sait que les Russes, contrairement aux Iraniens, pourraient, un jour, lui demander de partir. Une relation bâtie sur la plus froide des realpolitiks.

Politiquement, les Russes sont les maîtres du jeu, orchestrant l’évacuation des rebelles d’Alep ou scellant des accords de réconciliation entre insurgés et gouvernement. Avant le prochain cycle de négociations fin novembre à Genève, « les Russes mettent la pression sur le gouvernement pour faciliter les convois humanitaires », se félicite un humanitaire.

« Bachar ne changera pas »

« Bachar a gagné, mais s’il ne change pas, la révolte repartira », redoute un homme d’affaires, proche du pouvoir. « Pendant la guerre, dit-il, les supporteurs comme moi se sont tus, mais après, les gens rouspéteront. » Les défis de la reconstruction sont colossaux : bâtir un minimum de logements pour les civils sans logis, redistribuer un peu d’argent aux pauvres. Mais au-delà, les redoutés services de renseignements peuvent-ils lâcher du lest ? Très peu le croient. Quant à la classe d’affaires qui continue de s’enrichir autour de lui, les Russes voudraient la marginaliser, avant la reconstruction du pays. « Mais le pouvoir ne veut pas changer ses oligarques, regrette l’homme d’affaires. Les Russes, qui ne voulaient pas leur donner de visa, les ont finalement acceptés, mais ils n’ont été reçus à Moscou que par le vice-ministre du Commerce. »

« Aujourd’hui, poursuit l’industriel, l’ennemi de Assad, c’est lui. Bachar et son entourage ont la mentalité de ceux qui ont triomphé. Ils lâcheront encore moins de pouvoir qu’avant la révolte. » Les Russes les laisseront-ils faire ? «Pour contourner le problème, décrypte un analyste, le pouvoir pense qu’à la faveur de la désescalade des violences, il se rapprochera des Américains et jouera sur les deux tableaux. Comme lorsque le père était allié militairement avec l’ex-URSS, mais politiquement, ceux qui l’intéressaient, c’étaient les Occidentaux. » Au printemps, révèle un diplomate syrien, l’Administration Trump a transmis, via la Russie, le message suivant à Assad : « Nous sommes prêts à renouer avec vous à condition que vous rompiez avec l’Iran et le Hezbollah. » « C’est trop demander », a répondu Damas. Mais Assad s’est encore senti réconforté par la récente visite d’un responsable américain à Damas – la première depuis 2011 – pour s’enquérir du sort d’Américains, retenus en otages en Syrie. Comme si ce régime à la résilience insoupçonnée demeurait convaincu que d’autres referont, tôt ou tard, le « chemin de Damas ».

LE FIGARO

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