Par Hélène Sallon (Beyrouth, envoyée spéciale)
Piétinant au milieu des débris qui jonchent le sol, Wissam jauge l’avancée des travaux dans le salon de son spacieux appartement. Une large baie vitrée circulaire offre une vue plongeante sur le portrait du cheikh Hassan Nasrallah, le chef du mouvement chiite Hezbollah, accroché à l’immeuble d’en face. Il faudra encore une semaine pour reconstruire les balcons et les murs qui se sont effondrés. « L’appartement était superbe. Rien n’est resté », se désole l’ouvrier de 34 ans, qui montre, non sans fierté, de vieilles photos de l’appartement qu’il tient des parents de sa femme. Zeinab fait le tour des pièces.
La chambre des enfants est pratiquement achevée. Jad et Jawad, leurs deux jeunes fils, passent d’une pièce à l’autre avec leur trottinette. Il y a encore quelques jours, ils refusaient de venir. Le souvenir de l’attentat à la voiture piégée qui a dévasté, le 15 août, leur immeuble dans une rue commerçante de Roueiss, au cœur de Dahiyeh, le fief du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, est encore vif.
Zeinab et leurs deux garçons se trouvaient dans la chambre qui surplombe de trois étages le lieu de l’attentat qui a fait 29 morts. « On n’a rien entendu. Le mur extérieur et le balcon se sont effondrés. Jad est tombé sur la tête. On avait du sang partout », se souvient la jeune femme de 27 ans, dont le visage est souligné par un maquillage soigné et un voile coloré. Jad a été blessé au pied et Zeinab au torse. Il a eu trente-six points de suture. Elle, cinquante. « C’est la première fois que je voyais cela. Personne ne s’y attendait. C’est passé, et on ne peut rien faire face à la menace de nouveaux attentats », dit-elle dans un français presque parfait. « Moi, j’étais sûr qu’il y aurait des attentats. Après l’attentat de Bir Al-Abed, le premier jour du ramadan [le 9 juillet], le Hezbollah a pris des mesures de précaution partout. C’est toujours signe d’une menace à venir. Et là, rien qu’à voir l’ampleur des mesures de sécurité dans le quartier, c’est sûr qu’il y en aura d’autres », juge son mari, surnommé Abou Jad dans le quartier. Les entrées de Dahiyeh sont désormais gardées par des barrages, tenus chacun par une dizaine de jeunes hommes en civil du Parti de Dieu qui contrôlent l’identité des passagers et les véhicules. Les allers et venues sont épiés par tous.
Sympathisant du Hezbollah, Abou Jad ne craint pas les répercussions de potentielles frappes étrangères contre le régime de Damas : « Dès la première frappe aérienne, les bases militaires américaines seront attaquées par la Chine, la Russie et l’Iran. Le Hezbollah répliquera au Sud-Liban aux attaques israéliennes. » Ces menaces sont agitées dans les rangs du Parti de Dieu et de ses alliés à Damas et Téhéran. « Obama a peur. Israël a peur. La terre d’Israël sera totalement anéantie par l’Iran et le Hezbollah s’il y a des frappes. On est prêts depuis longtemps. Il faut écouter ce que le cheikh Nasrallah dit et le croire », invite Alaa, un militant du Hezbollah de 22 ans, chargé de surveiller les moindres faits et gestes des journalistes invités à visiter le quartier.
Quoi qu’il arrive, estime Wissam, les ennemis de toujours, Israël et les Etats-Unis, continueront à fomenter la « discorde » au Liban, en téléguidant des groupes sunnites extrémistes pour perpétrer des attentats. L’enquête, menée par les services de renseignement du mouvement chiite et l’Etat, n’a toujours pas abouti. « Les services du Hezbollah travaillent toujours dans le secret et ne révèlent leurs conclusions que quand ils ont remonté à la source », assure Hossam, un jeune de 20 ans.
« MÊME QUAND UN CHIEN MEURT, ILS ACCUSENT LE RÉGIME SYRIEN »
Abou Jab nie toute implication du régime syrien, une piste privilégiée par la justice libanaise dans les attentats contre deux mosquées sunnites de Tripoli, le 23 août. « Même quand un chien meurt dans la rue, ils accusent le régime syrien. Ce sont les hommes politiques sunnites qui alimentent l’extrémisme auprès de leurs partisans », affirme-t-il, certain que le Hezbollah fait au contraire tout pour éviter une guerre civile au Liban.
Avec d’autres volontaires de Dahiyeh, Abou Jad a donné son sang aux victimes des attentats de Tripoli. Une solidarité que le mouvement chiite revendique sur une affiche aujourd’hui déployée devant le lieu de l’attentat de Roueiss : « Des blessés de Dahiyeh à nos proches de Tripoli… On pense à vous ». En attendant la fin des travaux dans l’appartement, Wissam et sa famille logent dans un luxueux hôtel près de l’aéroport de Beyrouth, payé par le Hezbollah. « Ils nous ont aussi donné 3 000 dollars pour les frais courants », précise-t-il.
En revanche, les travaux de l’appartement sont à leur frais, de même que le remplacement des meubles et de la voiture de Zeinab, totalement brûlée dans l’attentat. Avec sa société de construction, Djihad Al-Bina, le Parti de Dieu prend en charge la reconstruction de la rue, des boutiques et des façades des immeubles détruits. Lors de la guerre de 2006, quand l’immeuble de l’appartement de Zeinab avait été totalement détruit dans un bombardement de l’aviation israélienne, le mouvement avait pris toute la reconstruction à ses frais, jusqu’à l’aménagement intérieur.
« Cette fois, il n’est pas question que le Hezbollah paie, c’est à l’Etat de le faire« , estime Zeinab. Un employé de l’Etat est venu établir un dossier, mais ils ne comptent pas là dessus. « Le ministère n’a pas remboursé les gens de Dahiyeh en 2006. Ici, personne ne s’occupe de nous, les chiites, sauf le Hezbollah », se plaint Wissam. Sa fidélité au mouvement chiite est telle qu’il a été autorisé à témoigner sans la présence traditionnellement imposée des gardes de sécurité du parti. Respectueux des instructions, l’homme décline toute question sur l’engagement du mouvement en Syrie et sa préparation à la veille d’une éventuelle frappe étrangère contre le régime de Damas. Il rejette les informations parues récemment dans la presse libanaise, qui font état d’une mobilisation générale dans les rangs du Hezbollah en vue d’une intervention étrangère. « Tout ce qui se passe ici est très secret, même le Hezbollah ne montre pas ses armes dans le quartier », élude-t-il, affirmant ne pas compter au nombre des 15 000 à 20 000 combattants estimés que le Hezbollah aurait entraînés dans le pays. Mais il se dit prêt s’il fallait prendre les armes. « Notre sang coule pour le Saïd [le cheikh Nasrallah]. J’ai sept cousins qui ont été faits martyrs en 2000 et 2006. Moi, je n’ai jamais combattu, mais si jamais le cheikh Nasrallah demande aux hommes de venir aider, je le ferai. »
Hélène Sallon (Beyrouth, envoyée spéciale)