EXCLUSIF – Alors que la DGSE fête ses 40 ans, Gina Haspel, directrice de la CIA de 2018 à 2021, donne son sentiment sur le service extérieur français. Pour cette espionne de haut vol, la « Boîte » est dans le Top-3 des services occidentaux.
Sa parole est rare, très rare. Directrice de la CIA de 2018 à 2021, Gina Haspel, première femme à diriger le service de renseignement extérieur américain, a gardé quelques réflexes de son passé d’agent sous couverture. Loin du profil de diplomate de son successeur William Burns, cette native du Kentucky est une espionne de haut vol, rompue aux missions clandestines. Entrée à la CIA en 1985, elle débute comme officier traitant en Afrique. Après avoir appris le russe et le turc, elle mène des missions en Russie et en Europe de l’Est dans les années 1990, avant de devenir chef de poste en Azerbaïdjan. Gina Haspel intègre ensuite le centre antiterroriste de l’agence, après le 11 septembre 2001.
Nommée à la tête de la CIA par Donald Trump en 2018, malgré des débats sur son rôle dans les simulations de noyade (waterboarding) effectuées dans les prisons secrètes de la CIA, elle a régulièrement travaillé avec la DGSE, qui fête cette année ses 40 ans.
Elle donne, en exclusivité pour Challenges, son sentiment sur le service français.
Challenges – Vous avez été directrice de la CIA de 2018 à 2021. Comment évaluez-vous le rang de la DGSE dans la grande famille des services de renseignement occidentaux?
Gina Haspel – La DGSE est à mes yeux l’un des tout meilleurs services de renseignement dans le monde. Je considère qu’ils sont clairement dans le top-3 de nos partenaires. Leur expertise sur le contre-terrorisme et l’Afrique est sans équivalent. C’est aussi un service opérationnel, qui n’a pas peur du risque, et n’est pas paralysé par un excès de bureaucratie.
Contrairement à la CIA, la DGSE semble ne pourtant pas avoir vu venir l’invasion russe de l’Ukraine…
Il est vraiment difficile pour moi de parler de cela, car je n’étais plus à la CIA lorsque l’invasion a eu lieu. Mais quand j’étais en poste, j’ai toujours trouvé que la DGSE était efficace sur la Russie. J’étais vraiment intéressée d’avoir leur position sur le sujet russe.
La DGSE est en charge à la fois du renseignement humain et du renseignement technique, contrairement au modèle américain et britannique où ces sujets sont traités par des agences distinctes (CIA/NSA, MI6/GCHQ). Y voyez-vous une force ou une faiblesse?
Il y a un besoin permanent de croiser les informations issues des sources humaines et des capteurs techniques: avoir les deux missions dans la même agence a donc du sens. Même lorsque ces missions sont réparties entre différentes agences, une étroite collaboration est indispensable.
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Comment jugez-vous la relation entre la DGSE et la CIA?
La relation n’a probablement jamais été aussi forte. La France est le plus vieil allié des États-Unis, il y a toujours eu une bonne coopération entre les deux agences. Mais les attentats du 11 septembre, et plus encore ceux de Paris en 2015, ont conduit à un approfondissement sans précédent de ce partenariat, avec un niveau de partage d’informations que nous n’avions probablement jamais vu auparavant.
Même sous la présidence de Donald Trump?
Le rôle des services de renseignement est précisément de veiller à ce que la coopération soit bien séparée du contexte politique. Je peux vous dire que durant mon mandat, la relation CIA-DGSE n’a cessé de s’approfondir. Il y a une douzaine d’années, alors que j’étais sous-directrice des opérations clandestines à la CIA, j’ai rencontré un analyste du renseignement français à Paris, qui se disait frustré par le partage d’informations avec la CIA, qu’il jugeait insuffisant. Je ne pense pas qu’il ressentirait la même chose aujourd’hui.
Le fait que la France ne fasse pas partie de la famille Five Eyes (alliance informelle des services de renseignement des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande) ne fait-il quand même pas de la DGSE une sorte de partenaire de second rang?
Absolument pas. La DGSE est un partenaire de premier rang. Je dirais même que le fait de ne pas faire partie des Five Eyes rend la DGSE encore plus incontournable: elle apporte des choses différentes sur la table.
Que pensez-vous du patron de la DGSE Bernard Emié?
J’avais d’excellentes relations avec Bernard Emié, avec qui nous parlions au moins une fois par mois. En plus d’être un excellent directeur de service, c’est un diplomate expérimenté qui, au-delà de la coopération entre services de renseignement, connaît parfaitement les alliances stratégiques.
La CIA semble adopter une communication plus ouverte, une politique très visible la question ukrainienne. Est-ce une tendance majeure dans le renseignement occidental?
Il y a effectivement eu une évolution vers plus de communication depuis une dizaine d’années, ce qui est sans doute nécessaire. J’étais un peu une exception: venant du service clandestin, je suis probablement un peu « old school » (rires).