Ennemis jurés depuis le début des printemps arabes en 2011, Abu Dhabi et Ankara veulent que leurs relations connaissent une « nouvelle ère ».
Le tapis rouge pour MBZ dans le palais d’Erdogan : la scène eût été inimaginable il y a encore deux ans, alors que les deux hommes, en froid depuis plusieurs années, se livraient bataille par drones interposés dans le ciel libyen. Mais les intérêts stratégiques du moment, liés entre autres au désengagement américain de la région, semblent avoir eu raison des vieilles querelles opposant la Turquie à son rival d’Abu Dhabi. « Les relations bilatérales seront examinées dans toutes leurs dimensions et les mesures destinées à les améliorer seront envisagées », indique un communiqué de la présidence turque en guise de préambule à la visite très attendue, ce mercredi, du prince héritier Mohammed Ben Zayed al-Nahyan (MBZ). Ce déplacement vise à « consolider les liens bilatéraux et examiner diverses questions régionales et internationales », précise l’agence officielle des Émirats sur son compte Twitter. Au sommaire des discussions figure également un important volet économique, croit savoir une source turque bien informée. «Les Émirats songeraient à investir entre 10 et 15 milliards de dollars, notamment dans le domaine militaire et aéronautique… et qui pourrait concerner, ironie de l’histoire, l’achat de drones turcs », confie-t-elle.
Une page est-elle en train de se tourner ? Voilà presque une décennie que la Turquie et les Émirats étaient engagés dans une querelle régionale qui les opposait à tous les niveaux et s’était cristallisée autour de l’Égypte, à l’issue des révolutions du printemps arabe de 2011 : Ankara soutenant le président égyptien issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi, Abu Dhabi appuyant de son côté le maréchal Sissi, à l’origine de l’éviction forcée du premier, en 2013. Le conflit libyen n’a fait qu’exacerber les tensions, puisque les deux pays se sont de nouveau retrouvés dans deux camps opposés : celui du gouvernement d’Union nationale de Tripoli pour la Turquie ; celui du maréchal Haftar, proche du Caire, pour les Émirats, le tout sur fond de querelle autour de la délimitation des frontières maritimes en Méditerranée orientale. « Paradoxalement, les dirigeants turcs et émiratis ont bénéficié de cette confrontation sur le plan politique, en l’utilisant pour conforter leurs positions intérieures et internationales. Pour les Émirats arabes unis, contrer la Turquie a ouvert la porte à de nouvelles alliances avec des acteurs occidentaux, notamment des pays européens comme la France et la Grèce, et a renforcé sa position à Washington. Pour Ankara, sa description des Émirats arabes unis comme étant résolus à déstabiliser Erdogan, a alimenté la thèse officielle selon laquelle des forces extérieures essayent de saboter une Turquie en plein essor – thème clé des dirigeants turcs lorsqu’ils expliquent leurs objectifs de politique étrangère aux électeurs », observent les chercheuses Asli Aydintasbas et Cinzia Bianco dans un rapport du European Council of Foreign Relations.