DÉCRYPTAGE – Après cinquante-six semaines de marches pacifiques, le mouvement de dissidence qui a stupéfié le monde marque le pas. Le gouvernement en profite pour durcir la répression.
1● Le Hirak en berne
La pandémie de Covid-19 a fauché la révolte des rues en Algérie. Beaucoup d’activistes reconnaissent que la «trêve sanitaire» laisse apparaître un essoufflement plus profond face à un pouvoir qui ne lâche rien depuis la dernière élection présidentielle.
Depuis deux mois, le rite des manifestations du vendredi – le fameux Hirak, qui signifie «mouvement» en algérien – a été interrompu. La pression sur les médias et la reprise des arrestations ont également mis fin aux promesses d’apaisement faites par le nouveau Président. Élu à la présidence de la République en décembre, Abdelmadjid Tebboune avait libéré plusieurs prisonniers d’opinion. Mais «cela aura été un leurre», constate Samir Yahiaoui, activiste algérien qui croit néanmoins que le Hirak va très vite «se remettre en marche». «En cette période de confinement total, le pouvoir en place active ses machines de répression et accélère la contre-révolution en essayant d’étouffer toutes les voix discordantes», a proclamé récemment le Comité national pour la libération des détenus. La chute de Bouteflika devait être celle du régime. Mais le régime, ou «le système», c’est-à-dire l’armée, même ébranlé, reste debout.
2● Parier sur l’appui de l’extérieur
Dans un avant-projet de Constitution divulgué le 7 mai, le gouvernement propose des changements qui l’arrangent, afin de «s’assurer le soutien de la France et des États-Unis, pour consolider un régime fragilisé», estime Abdelkader Abderrahmane, maître de conférences à Sciences-Po.
La suppression de l’obligation de s’associer avec un Algérien pour investir dans l’économie est un exemple. Mais le changement principal est la fin du dogme de la non-intervention de l’armée algérienne en dehors de son territoire. Même si, en réalité, l’armée intervenait déjà sur des théâtres extérieurs, elle le fera désormais officiellement, et avec le tampon de sortie du Parlement. Selon Abdelkader Abderrahmane, «c’est aussi un signe en direction de la France, qui a besoin du soutien algérien dans la région, notamment au Mali». En échange, Paris pourrait se montrer compréhensif à l’égard du nouveau président Tebboune. En revanche, on ne retrouve presque rien du cahier de doléances des manifestants qui réclamaient la fin de la toute-puissance du Président en matière de nominations, notamment judiciaires, et un vote de la nouvelle Constitution par référendum. Il n’aura pas lieu.
3● L’armée toute-puissante
Plusieurs règlements de comptes à l’intérieur de l’armée – généraux écartés, exilés ou envoyés en prison – ont éliminé les ultraconservateurs et les partisans du compromis avec le Hirak. Ces mouvements s’expliquent en partie par le désaccord de nombreux gradés traditionalistes hostiles à la nouvelle doctrine d’une projection possible des forces algériennes au niveau régional.
Si l’armée s’érige plus encore qu’auparavant en vecteur de la lutte contre le djihadisme qui sévit en dehors de ses frontières, notamment au Mali, elle offre alors une garantie à ses partenaires européens de jouer le rôle rassurant de puissance locale dont ils ont besoin en Afrique du Nord.
«Cela éloigne encore plus les chances du Hirak de compter sur un soutien des gouvernements étrangers», reconnaît un activiste algérien. Reste l’inconnu de la chute des cours du pétrole. Avec un baril de brent inférieur de 60 % aux cours de début janvier, les recettes de l’État, qui proviennent essentiellement des hydrocarbures, ont fondu. Le gouvernement algérien a annoncé en avril que les dépenses seraient réduites de 50 %. «Mais l’armée est épargnée par ces coupes et c’est elle qui décide de tout», et donc du statu quo qui l’arrange.