Après l’humiliation des bipeurs piégés, l’élimination de son chef historique, Hassan Nasrallah, et la défaite cuisante infligée par Israël, la milice chiite opère désormais dans le plus grand secret. Dans le Sud, elle consent à se désarmer, mais pas dans ses autres fiefs.
Wafic raconte la panique qui a suivi l’assassinat par Israël du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le 27 septembre 2024 à Beyrouth. « J’étais à Dahiyé (le fief du Parti de Dieu dans la capitale libanaise, NDLR). De hauts responsables militaires ou sécuritaires dormaient dans des voitures, ils allaient chez des gens de confiance pour prendre une douche et repartaient », se souvient ce membre de la milice chiite pro-iranienne qui accepte de nous parler sous un prénom d’emprunt afin de préserver son anonymat. Un témoignage rare, dans une organisation classée comme terroriste par la plupart des pays occidentaux, et qui cultive le secret.
Alors que Nasrallah et son numéro deux, Hachem Safieddine, ont été tués et que la direction militaire vient d’être décapitée, personne ne répond à ses appels. « Pendant dix jours, tout le monde était perdu. Nous étions comme un corps plongé dans le coma. Seuls les combattants au sud faisaient la guerre, suivant des plans qui prévoyaient qu’en cas de disparition de leur direction, ils continueraient. Beaucoup de ces jeunes ont tenu quelques jours, avant de tomber. Ils sont tous morts, 1 200 environ. Ce sont eux qui ont résisté et sauvé un peu la situation », raconte-t-il en préparant un café dans sa cuisine.
« Au bout de quinze jours, ajoute Wafic, des Iraniens sont arrivés pour reprendre la situation en main. Esmail Qaani (le chef de la branche alQods, l’unité d’élite en charge des alliés de l’Iran hors de ses frontières) a réuni des gens. Des instructeurs iraniens ont rétabli en une dizaine de jours le gros de la chaîne de commandement. Mais, sur le plan politique, c’était toujours le vide. À Dahiyé, je ne voyais personne, et, quand je suis sorti, tout le monde était parti et s’était dispersé ».
interVint ensuite le temps de la critique. « Une critique interne forte », raconte- t-il, mais restée sous les radars pour ne pas affaiblir une formation décapitée. « Comment en est-on arrivé là ? », se demandent beaucoup, stupéfiés. Certains comme Wafic mettent en cause la conduite de la guerre qu’Hassan Nasrallah avait décidée, peu après l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 en Israël. « Ce que je lui reproche, c’est d’avoir tergiversé, soit il fait la guerre, soit il ne la fait pas, mais il ne prend pas une position intermédiaire. Puisque le Hezbollah n’avait pas été informé par le Hamas du 7 Octobre, il ne devait pas entrer dans la guerre. Et surtout pas de cette manière, par solidarité, c’est-à-dire avec mesure », poursuit Wafic.
Pendant un mois, en effet, le charismatique leader chiite se tait, avant de dévoiler son plan à la télévision, que nous résumera quelques semaines plus tard Mohamed Raad, le chef des députés du Hezbollah : « Solidarité avec le Hamas mais service minimum, notre priorité est la protection du Liban. » Tragique erreur, alors que les régions chiites du Sud vont être détruites, et leurs habitants, la base du Hezbollah, jetés sur les routes de l’exil.
Dès le lendemain du 7 Octobre, « un débat eut lieu au sein du Hezbollah, et des divergences existaient », nous ont confirmé plusieurs autres sources. Il oppose deux camps : d’un côté, Hassan ‐ Nasrallah, qui prône la prudence, de l’autre Hachem Safieddine, le numéro deux, ainsi que des militaires, notamment la direction de la Force Radwan, qui sera décimée un an plus tard. Ces derniers veulent profiter de la désorganisation suscitée en Israël par l’attaque du Hamas pour pénétrer à leur tour dans le nord de l’État hébreu, frontalier de leur bastion du Sud. Un plan échafaudé depuis des années qu’Israël avait dévoilé en 2018, montrant plusieurs tunnels sous la frontière et sortant dans son territoire.
Nasrallah pouvait-il faire autrement, alors que son parrain iranien préconisait une réponse symbolique menée par ses alliés de « l’Axe de la résistance » – mis sur pied par Téhéran au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen pour être sa force de dissuasion face à Israël ? « Le Hezbollah ne voulait pas entraîner l’Iran dans une guerre contre les États-Unis, qui avaient déployé deux navires de guerre en face de nous », explique un autre cadre du Parti de Dieu, qui requiert l’anonymat.
En cet automne 2023, le patron de la DGSE, Bernard Émié, ancien ambassadeur de France au Liban qui a rencontré Nasrallah dans le passé, vient secrètement le voir pour lui dire qu’après le 7 Octobre « c’est autre chose ». Régulièrement ensuite, la France, qui entretient un dialogue politique avec le Hezbollah, répète le même avertissement.
Le 2 janvier 2024, alors que le Hezbollah maintient un niveau de frappes limité contre Israël, un drone abat à Beyrouth un haut responsable du Hamas, Saleh al-Arouri, chargé du lien avec le Hezbollah et les gardiens de la révolution en Iran. La fronde s’amplifie. « Des chiites du Sud humiliés par Israël disent au Hezbollah : “Ça suffit, il faut réagir !” Mais les Iraniens et Nasrallah disaient non », se souvient Wafic.
Nicholas Blanford, ancien journaliste et auteur d’un livre sur le Hezbollah, confirme : « En février et mars 2024, beaucoup devenaient nerveux. “C’est une guerre futile, disaient-ils, les Israéliens explosent nos maisons, tuent des commandants, on sait qu’il y a des collaborateurs, et que fait-on ? On tire quelques katiouchas ? Qu’on fasse la guerre proprement !” » Les plaintes atteignent la direction, qui durcit ses attaques contre l’État hébreu. Le piège commence à se refermer. « Hassan Nasrallah a commis une grosse erreur en pensant que les Israéliens allaient accepter le niveau de violence que lui-même avait décidé. Leur réponse a été l’écrasement », observe Ghassan Salamé, ministre de la Culture du Liban.
« Ce que Nasrallah ne mesurait pas, renchérit Wafic, c’est le degré de pénétration israélienne de son système de communications. Tous les quinze jours, des gens contrôlaient les communications, mais le travail était mal fait. Probablement aussi que depuis vingt ans qu’il vivait dans un bunker, Nasrallah avait fini par perdre ses repères », regrette ce fidèle du parti.
« Nasrallah n’était pas uniquement la cible de l’espionnage technologique, rectifie un technicien, proche du Hezbollah. Il a aussi été leurré et il n’avait pas forcément perdu le sens des repères. Mais les repères qu’il utilisait pour décider étaient phagocytés par les Israéliens, qui ont réalisé la plus grande opération de contreespionnage menée dans le monde moderne. Non pas, comme les Soviétiques le faisaient, en torturant les agents démasqués pour les transformer en agents doubles, mais en les laissant opérer au sein ou à la périphérie du Hezbollah ».
Isolé, caché sous terre, Nasrallah avait besoin de plusieurs cercles de contacts ou de sources. « Certains membres de ses réseaux étaient travaillés par des agents à la solde d’Israël qui les abreuvaient d’infos vraies pour gagner leur confiance, mais aussi d’intox, poursuit le technicien. Ce qui explique que jusqu’à la dernière minute, après avoir donné son accord pour un cessez-le-feu deux jours avant sa mort, il était convaincu qu’Israël ne le frapperait jamais, alors qu’ils avaient commencé à détruire ses capacités avec l’épisode des bipeurs. » Ironie de l’histoire, beaucoup de membres de ses cercles d’informations ont été éliminés par l’État hébreu.
D’autres, comme Wafic Safa qui faisait le lien avec les partis libanais, sont aujourd’hui marginalisés. D’autres encore, par négligence, ont tout simplement été trahis par leur entourage. Fouad Shouqr, haut cadre militaire, âgé de 62 ans, qui avait une maîtresse qu’Israël surveillait, se cachait peu. Il a été tué deux mois avant Nasrallah par une frappe aérienne israélienne. Depuis, au sein du Parti de Dieu, certains le surnomment « Shahid al-zob » (« le martyr du sexe »). « Les vieux comme lui, qui avait pourtant établi dans les années 1980 l’appareil sécuritaire du Hezbollah, s’étaient endormis sur leurs lauriers en déléguant certaines de leurs responsabilités à d’autres qui n’avaient pas la même expérience », décrypte Nicholas Blanford.
D’autres enfin s’étaient laissé gagner par l’hubris de leurs leaders, comme s’en souvient un notable du Sud. « Un de leurs gars m’avait dit après le 7 Octobre qu’ils allaient aller reprendre des villas en Galilée, dans le nord d’Israël. “En veux-tu une ?”, m’avait-il lancé. “On est prêts, les plans de la Force Radwan sont là”, il y croyait dur comme fer. »
En veste et chemise blanche, Ali Fayad, député du Hezbollah, arrive au rendez-vous dans un café peu fréquenté de Beyrouth face à la mer, un sac cadeau Hermès à la main. « Mohammed Raad ne peut pas vous voir cette fois », dit-il à l’envoyé spécial du Figaro. Craignant pour sa vie, celui qui occupe le poste non officiel de numéro deux du Hezbollah se déplace le moins possible, ne voyant que le président de la République, Joseph Aoun, ou l’émissaire d’Emmanuel Macron, Jean-Yves Le Drian.
« Le Hezbollah a payé un prix lourd, mais il n’est pas détruit », assure Ali Fayad, qui dirige un think-tank, levant le voile sur certaines mutations d’après-guerre. « Nous avons une nouvelle structure militaire, elle est secrète, car nous devons faire face à de nouvelles circonstances. L’aspect positif est que notre nouvelle direction militaire est assez jeune, plus dynamique, et capable de suivre les progrès technologiques. »
« On ne les voit plus dans la rue, dans les cafés, comme avant, précise Wafic. Sous l’égide des Iraniens, une nouvelle génération de deuxième ou troisième rang est montée dans la hiérarchie. Elle a pris la place d’une caste, parfois corrompue, se sentant protégée et toutepuissante parce que de la même génération que Nasrallah. ».« Cette passation de pouvoirs aurait dû avoir lieu d’une manière naturelle et pas en temps de guerre », regrette Ali Fayad.
Comme à la création du Hezbollah au début des années 1980, le retour à la clandestinité est la règle chez ses combattants. Les responsabilités dans l’appareil militaire ont été redistribuées, et nul ne doit savoir qui fait quoi. « Après la précédente guerre de 2006 contre ‐ Israël et l’intervention du Hezbollah en Syrie à partir de 2013, les effectifs de la résistance avaient gonflé, et celle-ci était devenue une formation hybride, avec des secteurs peu visibles et d’autres d’une quasi-armée régulière, ce qui a rendu les choses beaucoup plus faciles pour Israël », constate le cadre du parti, précité.
Aujourd’hui, les militaires sont, le plus souvent, séparés des politiques. Ils sont plus autonomes. Dans les villages, les commandants n’ont plus besoin d’en référer à la direction centrale à Beyrouth. « Les boucles de décision sont courtes, les ordres se font en présentiel, une personne face à une autre, ce n’est plus par le réseau de communications qu’ils échangent », explique l’expert. Quant au secrétaire général, Naïm Qassem, décrit comme faible, il ne fait pas tout comme son prédécesseur.
En parallèle, le Hezbollah a limité et verrouillé ses contacts avec l’extérieur. Walid Joumblatt, le chef de la communauté druze, avait un seul interlocuteur. « C’était Wafic Safa qui m’avait donné son téléphone, et quand il s’agissait de questions plus sensibles, Nasrallah m’envoyait également Hajj Hussein al-Khalil. Maintenant, je n’ai plus de contacts. Wafic Safa a disparu, il est en danger » après avoir échappé à la mort, l’an dernier. Le second se terre.
Après avoir arrêté de nombreux collaborateurs – un processus toujours en cours -, la formation chiite a renvoyé des combattants, notamment ceux qui n’avaient pas fait la guerre, dans la Bekaa, son autre bastion à l’est. Les hommes mariés ont reçu deux mois de salaire, les célibataires un seul. Le Hezbollah aurait également entamé une phase de recrutement, mais l’entraînement dans certains de ses camps dans la Bekaa n’a pas encore commencé, selon un témoin. « D’après nos informations, le Hezbollah n’a pas fini de restructurer sa branche militaire », affirme un haut gradé de l’armée libanaise qui suit de près l’évolution de la milice.
Affaibli militairement, le Hezbollah affiche une nouvelle posture défensive, probablement dictée par son parrain iranien, qui a repris la main sur la milice libanaise. « Les Iraniens continuent de nous soutenir, mais la situation est considérablement différente, estime Ali Fayad. La résistance est passée à une position défensive libanaise. Cela veut dire que, si demain l’Iran est attaqué, le Hezbollah n’interviendra pas pour le soutenir. Au sud, Israël occupe toujours les Fermes de Chebaa et six positions à l’intérieur du Liban, la résistance n’intervient pas. Il y a eu un développement très important, après l’accord de cessez-le-feu du 27 novembre 2024 : nous avons encouragé l’État libanais à aller de l’avant pour qu’il prenne à sa charge la gestion de la situation politique et militaire sur le terrain. Nous avons dit à l’État et à l’armée : nous sommes en position de soutien de votre action. »
En vertu de cet accord, l’armée libanaise doit se déployer au sud de la rivière Litani. Elle le fait progressivement et timidement, comme nous l’avons constaté durant deux jours, près de la frontière israélienne. Pas plus de 2 000 soldats, au lieu des 10 000 prévus. « Pour l’instant, l’armée est discrète au sud, ce n’est pas la peine d’exciter le Hezbollah, car l’avenir n’est pas clair », explique le haut gradé libanais.
Si l’on ne voit effectivement aucun milicien, « les activités politiques du Hezbollah sont encore là, affirme le chercheur Samir Zoughair, c’est une force politique majeure. Qui pouvait croire qu’elle allait disparaître ? »« Le Hezbollah, c’est une communauté avec vingt-sept députés au Parlement », renchérit auprès du Figaro Tom Barrack, l’émissaire de Donald Trump pour le Liban et la Syrie, croisé au sommet de la paix à Charm el-Cheikh. Il aurait pu ajouter : avec des relais maintenus dans le service de renseignement de l’armée (B2), celle-là même qui doit désarmer le Hezbollah. Dans les principales villes du Sud, l’officier du B2 traditionnellement proche du Hezbollah est toujours en place dans le comité tripartite qui gère la sécurité aux côtés d’un représentant du Parti de Dieu et d’un d’Amal, l’autre formation politique chiite.
À chacune ou presque de nos rencontres avec le maire des villages visités, un homme du Hezbollah l’accompagnait. Dès la sortie de Saïda, la dernière grande ville sunnite au sud de Beyrouth, l’autoroute vers le « Hezbollah land » est bordée de nouveaux drapeaux jaune et vert, placardés il y a trois semaines pour le premier anniversaire de l’assassinat de Hassan Nasrallah. Dans les villages ou sur les petites routes escarpées à flanc de collines boisées où le Hezbollah cachait ses armes dans des tunnels ou des bunkers trônent les portraits des « martyrs » de la guerre. Partout, les bombardements israéliens, souvent ciblés, ont provoqué l’écroulement de nombreuses maisons. Certains villages le long de la frontière avec Israël sont presque totalement détruits.
C’est le cas de Naqoura, où siège la Force intérimaire des Nations unies (Finul), à un kilomètre de la frontière avec l’État hébreu. « Les gens commencent à revenir, la vie est trop chère à Beyrouth, se lamente Ali, un de ses habitants. On vit dans l’arrière de nos maisons, sans électricité, et l’hiver arrive, comment allons-nous faire ? » Il y a un mois, des armes du Hezbollah ont encore été retrouvées, ainsi qu’un tunnel débouchant en face de la Finul.
En remontant par une route sinueuse vers le village voisin chrétien d’Alma al-Chaab, les carcasses de maisons se succèdent au milieu de rares pelleteuses qui déblaient. Pendant la guerre, les combattants du Hezbollah se déplaçaient entre les deux localités en utilisant un tunnel qui débouchait en pleine forêt. Une femme peste contre la milice dont les hommes occupaient sa maison en son absence, avant qu’elle soit bombardée par l’armée israélienne. Alma al-Chaab et les autres villages du Sud s’étaient vidés de leurs habitants. « Les Israéliens qui occupaient toutes les maisons le long de la route principale ont écrit sur les murs en anglais : vous ne nous oublierez pas », raconte Shaadi Faya, le maire d’Alma al-Chaab, où 90 habitations ont été détruites et 200 endommagées. « Pourquoi avoir fait tomber le clocher de l’église ? Que veulent-ils faire ? Peut-être une zone tampon ? », se demande-t-il.
Parce qu’il occupe une position stratégique à 1 km d’Israël, Alma est le seul village chrétien du Sud Liban à avoir subi autant de dégâts. « Israël n’a pas besoin de réoccuper la région, un seul mot de la porteparole de l’armée suffirait pour faire repartir les habitants », jure Danny Ghafari, qui n’est pas encore revenu à Alma.
Comme tant d’autres, il espère avec impatience que sa maison soit reconstruite. Mais il risque d’attendre longtemps, les riches monarchies du Golfe – Arabie saoudite en tête – conditionnant le financement de la reconstruction au désarmement complet du Hezbollah par les autorités libanaises. Or, si le Sud l’est à 80 % environ, selon les estimations de l’armée, rien n’est prévu pour les zones au nord du Litani et surtout dans l’est du pays, où la milice stocke ses missiles. « Le Hezbollah a donné environ 12 000 dollars au propriétaire de chaque maison détruite, explique le maire, mais il semblerait qu’il ait moins d’argent. Regardez, j’ai un chèque de 18 000 dollars émis par Qard al-Hassan, sa société financière, mais je ne peux pas l’encaisser », se plaint-il. Maigre consolation : le gouvernement a déployé une cinquantaine de soldats depuis quelques semaines dans l’école d’Alma.
On n’en voit guère sur la route vers la forteresse croisée de Tibnine qu’il est conseillé d’emprunter pour ne pas s’approcher des positions militaires qu’Israël a installées après le cessez-le-feu. « L’armée israélienne se montre de plus en plus agressive », assure une source militaire occidentale. Il y a un mois, un de leurs drones a chuté pour la première fois dans le camp de la Finul à Naqoura. La semaine dernière, un Casque bleu a été blessé par une grenade israélienne près de sa position à Kfar Kila, le troisième incident en un mois. Et jeudi 16 octobre, huit frappes ont encore visé des « infrastructures liées au Hezbollah », selon Israël, entre Mazraa et Sinaï, près de Nabatiyé. Alors que l’État hébreu dit vouloir empêcher le Hezbollah de se reconstituer, le gouvernement libanais l’accuse d’avoir violé plus de 1 500 fois le cessez-le-feu en onze mois, et tué près de 300 personnes. Sans la moindre réaction du Hezbollah.
Au sud, « personne ne croit que les Israéliens vont quitter leurs positions qu’ils fortifient et parfois étendent », ajoute la source militaire. Un des 29 postes de la Finul est pris en sandwich entre un fortin israélien au Liban et un autre de l’autre côté de la frontière dans l’État hébreu. Avec ses drones, Tsahal intimide. « On les entend presque jour et nuit, se plaint Hassan Jafar, le maire du village de Yatir, non loin de Tibnine. On en a même eu un qui est descendu à 20 mètres devant la mairie. Face à cette occupation, ce sont les armes du Hezbollah qui nous protègent, ni la France ni les régimes arabes ne peuvent nous donner de garanties.
» Leur bourdonnement vise aussi à empêcher les Libanais de rentrer chez eux et la reconstruction de commencer. Le contingent français de la Finul se souvient d’un avion sans pilote évoluant à 25 mètres seulement d’un de leurs véhicules blindés l’été dernier, créant un début de panique. « Ils rechargent leurs bases de données ou enregistrent des visages », commente le haut gradé libanais. « Leurs renseignements sont efficaces », constate Nabil Fawaz, le maire de Tibnine, qui montre la résidence d’été du président du Parlement, Nabih Berri, totalement anéantie. Sept corps de combattants du Hezbollah ont été retrouvés à l’issue de la guerre dans les décombres d’une maison, utilisée là encore comme planque.
Quelques jours avant notre passage, un drone israélien a tué un homme près de l’hôpital de Tibnine. C’était un membre du Hezbollah qui cherchait à acquérir discrètement une maison pour en faire un centre de santé. Trois semaines auparavant et pour le même motif, un autre avait subi le même sort en fuyant au volant de sa voiture, restée calcinée le bord de la route. « À quoi bon ouvrir un centre de santé près de l’hôpital ? », s’interrogent dubitatifs des voisins.
À quelques kilomètres, une image surprend : un décor de Beverly Hills parmi la désolation. Sur les collines du village de Harris, la plupart des mini-palais de riches financiers du Hezbollah, des hommes d’affaires chiites d’Afrique de l’Ouest, où ils ont fait fortune, sont intacts, avec une vue imprenable sur la ville de Tyr et la Méditerranée en contrebas. Le Hezbollah n’y avait pas envoyé ses hommes.
Le parti chiite a-t-il encore beaucoup d’argent ? Il disposerait de 60 millions de dollars chaque mois, selon Tom Barrack, l’émissaire de Donald Trump. Une estimation jugée élevée par d’autres sources. Les vols Téhéran-Beyrouth ont été supprimés, et les contrôles à l’aéroport sont draconiens. Mais « on a encore mis la main sur des hommes en provenance de Turquie avec de l’argent dans leurs valises », confie un ministre libanais, qui ajoute qu’il y a toujours un peu de contrebande à partir de la Syrie et du trafic au port de Beyrouth, où des scanners doivent bientôt arriver.
« Nos institutions sociales, éducatives et nos hôpitaux fonctionnent », assure le député Ali Fayad. Pas sûr toutefois qu’il puisse satisfaire ses 60 000 à 70 000 salariés comme il y a dix ans, au temps de l’opulence. Ses députés sont fréquemment moqués au Parlement et dans les débats télévisés. « Ils ont perdu de leur superbe, d’autres parlementaires ne craignent plus de les insulter », confie un élu, qui ne veut pas être cité, redoutant comme d’autres leur capacité de nuisance persistante.
Pourtant, même s’il est affaibli militairement et s’il a perdu des alliés sunnites et chrétiens, le Hezbollah devient plus agressif politiquement, poussé par l’Iran, qui a dépêché à trois reprises ces derniers mois à Beyrouth Ali Larijani, le nouvel homme fort de la galaxie sécuritaire à Téhéran.
En décembre 2024, la chute de la Syrie d’Assad, par laquelle le Hezbollah acheminait ses armes d’Iran, a été un autre coup dur. Mais depuis, les attaques contre les minorités alaouites et druzes perpétrées par le nouveau régime de Damas ont ressoudé la base chiite du Hezbollah. « On voit ce qu’il se passe en Syrie, résume Moufid Jaber, un trentenaire qui aspire à un rôle politique hors du duo Hezbollah-Amal. Comme moi, la plupart des chiites pensent que le gouvernement libanais n’est pas capable de nous défendre. Alors entre deux maux, on choisit le moindre : le Hezbollah. On le voit comme un protecteur qui ne doit pas être désarmé. »
Un diplomate qui suit au jour le jour la situation résume la nouvelle « logique » du Parti de Dieu : « Ils ont accepté de désarmer au sud, mais ils nous demandent de ne pas toucher au nord du Litani. D’ailleurs, c’est là où Israël tape le plus fort, la preuve qu’ils ont fait le plus gros du travail au sud. Le Hezbollah ne représente plus une menace pour Israël, mais au-delà, a-t-il gardé suffisamment de capacités pour peser sur la scène intérieure libanaise ? », s’interroge cet observateur.
Au sommet de l’État, les avis divergent. Poussé par l’Arabie saoudite et les États-Unis, le premier ministre Nawaf Salam plaide pour le désarmement rapide du Hezbollah sur l’ensemble du territoire. Le président de la République, le général Joseph Aoun, et l’armée, eux, ne veulent pas l’affronter, craignant un éclatement de la troupe, voire du pays. Ils redoutent une bête blessée, mais encore loin d’être à terre.
*GEORGES MALBRUNOT, ENVOYÉ SPÉCIAL À BEYROUTH ET AU SUD LIBAN