Falah Mustafa, 50 ans, dans son hôtel parisien le 5 juin.
@flabarre
Acteurs majeurs de la lutte contre l’Etat islamique, les Kurdes n’étaient pas invités à Paris le 2 juin pour la conférence de la coalition anti-Daech.
Paris Match. Êtes-vous satisfait du soutien apporté par la France aux kurdes d’Irak ?
Falah Mustafa. Nous sommes très reconnaissants et nous n’oublierons jamais la visite de François Hollande à Erbil. Il a su montrer que nous n’étions ni seuls ni oubliés. La France fournit un effort militaire, humanitaire et politique. Depuis quatre ans, nous avons une représentation diplomatique ici à Paris.
Ce soutien est-il suffisant ?
La volonté est là, mais on peut aller plus loin. C’est sans limites ! Nous sommes en première ligne contre Daech pour défendre notre territoire mais aussi les valeurs de liberté que nous partageons. Les Peshmergas ont fait un travail remarquable au prix de nombreux sacrifices. Aussi, il aurait été utile et légitime que nous soyons invités à la conférence rassemblant la coalition anti-Daech à Paris le 2 juin. Nous sommes en première ligne et nous accueillons un million et demi de réfugiés !
La présence du premier ministre d’Irak Haider al Abadi n’était-elle pas suffisante ?
Je ne pense pas que le gouvernement fédéral d’un pays dont le tiers est occupé par Daech puisse à lui seul le représenter.
« En jouant cavalier seul, Bagdad nous empêche d’avancer »
Il y a six mois, on disait Daech affaibli, on espérait la reconquête de Mossoul, aujourd’hui on en est loin. De quoi avez-vous manqué ?
La prise de la capitale du califat aurait été une grande force symbolique. Elle est aussi importante pour nous car un tiers de la population de Mossoul est kurde. Mais Bagdad avait une autre priorité : reprendre Ramadi. On connaît le résultat aujourd’hui… Le problème n’est pas tant militaire que politique. En jouant cavalier seul, Bagdad nous empêche d’avancer. Daech règne sur un vaste territoire avec une population importante, un système de gouvernance, des troupes. Ils n’ont aucun problème de recrutement. Nous ne pouvons les affronter seul. Or Bagdad au lieu de nous aider nous met des bâtons dans les roues. Par exemple, bien que ce soit inscrit dans la constitution de 2005, le gouvernement autonome kurde n’a toujours pas son mot à dire sur la loi du budget et nous n’arrivons pas à payer les salaires de tous nos fonctionnaires !
Lors de la conférence du 2 juin à Paris, le Premier ministre irakien Haider al Abadi a constaté que la stratégie de la coalition est un échec, partagez-vous ce point de vue ?
Les campagnes aériennes se sont révélées efficaces mais pour détruire l’État islamique, il faut des troupes au sol. Au Kurdistan, nous avons des soldats loyaux mais nous manquons d’armes et de munition. Ailleurs en Irak, le problème est plus politique. On ne sait pas trop sur qui compter ! Il y a un grave problème de gouvernance chez les sunnites.
Qu’est-il ressorti de la récente rencontre de votre président Massoud Barzani, à laquelle vous avez assistée, avec le président des États-Unis Barack Obama ?
La promesse de recevoir les armes que nous attendons depuis bien longtemps : des tanks, des véhicules blindés, de l’artillerie lourde, des systèmes de communication et du matériel de déminage.
« Si des Français partent faire le jihad, cela signifie que chez vous aussi quelque chose ne tourne pas rond »
La formation par un détachement des forces spéciales françaises d’une partie des Peshmergas apporte-t-elle des résultats ?
Nous sommes reconnaissants de l’effort de la France, mais cette guerre est rude et couteuse. Nous avons besoin d’un soutien accru ! Nous avons une responsabilité partagée car beaucoup de Français partent faire le jihad en Irak et en Syrie. Cela signifie que chez vous aussi quelque chose ne tourne pas rond ! Et à leur retour, ils présentent un vrai risque pour vous.
Que pensez-vous des Occidentaux qui viennent s’engager contre Daech spontanément aux cotés des kurdes ?
Nous apprécions tous ceux qui plaident notre cause car nous partageons les mêmes valeurs. Mais la voix des médias ou des hommes politiques reste plus importante pour nous. Nous n’avons pas besoin de combattants, nous avons besoin d’armes. Et de porte-parole pour faire porter nos messages.
Un député français, Frédéric Lefebvre, a récemment lancé un appel à tous les parlementaires pour pousser l’Union européenne à lancer une opération au sol en Syrie et en Irak. Est-ce une bonne initiative ?
Nous apprécions ce type de manifestation. Maintenant il faut s’asseoir autour d’une table et évaluer les besoins et les moyens mis en œuvre pour mener ensemble cette guerre contre Daech. Nous n’y sommes toujours pas arrivés puisque nous n’étions pas présents à la conférence, alors que nos soldats tombent chaque jour !
Publié par PARIS MATCH