Le 27 juin 2011, une délégation de six membres de l’opposition syrienne à l’étranger s’est rendue à Moscou avec pour objectif d’inviter la Russie à modifier sa politique étrangère vis-à-vis de la Syrie. Menée entre autres par Radwan Ziadeh, Moulhem al-Droubi et Mahmoud al-Hamza, la délégation a rencontré Mikhaïl Margelov, envoyé spécial du président Medvedev pour l’Afrique. Bien que qualifiée de « constructive » par la délégation, la rencontre n’a pas permis d’obtenir un revirement de l’attitude de Moscou en direction de Damas. Les propos de Mikhaïl Margelov sur ce point sont sans ambiguïté: « Nos relations avec la Syrie représentent un capital qui ne peut-être dilapidé ».
Coïncidence ou pas, une délégation de l’Association d’amitié russo-syrienne se rendait à Damas dès le lendemain pour réaffirmer le soutien russe à la politique de réformes et de dialogue prônée par le président Bachar al-Assad. Cette politique ne trouve pourtant que peu d’échos aux oreilles des Syriens, qui entendent surtout le bruit assourdissant des chars dans les rues de leurs villes. La délégation russe a rencontré dans la même journée les deux vices-présidents syriens, Farouq al-Charaa et Najah al-Attar, et le ministre des Affaires Etrangères, Walid al-Moallem.
Ces visites croisées posent deux questions : Comment expliquer le soutien moscovite au régime syrien ? Et ce soutien est-il aussi inébranlable que veut le croire Damas ?
L’axe Moscou-Damas, un bref historique
Les relations diplomatiques entre Moscou et Damas remontent à la fin de la seconde Guerre Mondiale. Consciente de l’importance stratégique du Moyen-Orient, notamment du fait de ses ressources pétrolières, l’URSS s’attache à entretenir les relations les plus cordiales possibles avec les différents Etats de la région, dont la plupart sont encore alors sous domination mandataire. En 1944, Moscou reconnaît la Syrie, deux ans avant l’indépendance effective du pays. Damas devient rapidement un pion majeur de l’échiquier régional. Son importance s’accroit, dans les années 1970, avec la rupture progressive conduite par Anouar al-Sadate des liens de l’Egypte avec l’URSS et avec le rapprochement égyptien du camp occidental. Toutefois l’alliance soviéto-syrienne n’est pas inébranlable, et la guerre interne libanaise provoque les premières lignes de fractures entre le régime de Hafez al-Assad et Moscou. L’URSS, naturellement encline à soutenir les forces « progressistes » et palestiniennes, se montre réservée sur l’intervention syrienne, destinée au départ à venir en aide aux milices chrétiennes.
Les années 1980 sont des années de refroidissement des relations entre les deux pays, et les rapports de plus en plus cordiaux entre Moscou et Tel-Aviv ne contribuent guère à les améliorer. Les fondements idéologiques de l’alliance soviéto-ba’thiste ne suffisent plus à maintenir les liens privilégiés entre les deux partenaires. A la chute de l’URSS, en 1991, les nouveaux responsables russes ont d’autres priorités diplomatiques et stratégiques que la Syrie. La nouvelle diplomatie mise en place par Moscou, qui s’inspire de celle de la défunte URSS, vise à entretenir les meilleures relations possibles avec l’ensemble des pays du Moyen-Orient. La Syrie n’apparaît alors que comme un pays parmi d’autres.
Quels intérêts en Syrie pour Moscou ?
En juin 2011, alors que la répression se poursuit en Syrie, que les réformes annoncées ne trouvent pas de traduction concrète, que le dialogue entre le régime et la rue est au point mort, Moscou continue d’afficher son soutien à Bachar al-Assad. Elle ne semble pas prête à abandonner un partenaire redevenu stratégique.
Si les relations économiques entre la Russie et la Syrie restent relativement limitées, comparées au volume des échanges russes avec les autres pays de la région, elles tendent malgré tout à prendre une dimension croissante. En 2004, le volume des échanges syro-russes s’élevait à 218 millions de dollars, dont 206 millions d’exportations russes. En 2008, alors que la Syrie faisait son retour sur la scène internationale après trois ans d’isolement provoqué par l’assassinat de Rafic Hariri, le volume des échanges a progressé considérablement, se hissant à 2 milliards de dollars. On trouve aujourd’hui en Syrie un certain nombre de grandes entreprises russes. Stroytransgaz, compagnie du secteur gazier détenue par Gazprom, a entrepris une série de projets en Syrie depuis 2005, en coopération avec la Syrian Gas Compagny, pour un montant évalué de 600 millions de dollars.
Financièrement les relations russo-syriennes sont au beau fixe. En janvier 2005, la Russie a accepté une renégociation de la dette syrienne, contractée durant l’ère soviétique. 73% des 13,4 milliards de dollars dus par Damas ont été purement et simplement effacés. Les 27% restants ont été divisés en deux catégories. Une moitié devait être remboursée normalement dans un délai de 10 ans, tandis que l’autre a été versée sur des comptes russes en Syrie pour servir au financement d’investissements et à l’achat de biens syriens.
Les relations économiques entre les deux pays ne suffisent pas à expliquer le soutien que les dirigeants russes continuent d’accorder à Bachar al-Assad. La coopération militaire joue ici un rôle plus fondamental. Pour Moscou, la Syrie est un partenaire non négligeable, du fait à la fois de sa situation géographique sur la Méditerranée et de son indépendance affichée vis-à-vis de l’Occident. Il est donc important pour les dirigeants russes de conserver de bons rapports avec ce qu’ils considèrent comme un relais ou une porte d’entrée en direction des mers chaudes, préoccupation majeure des stratèges russes depuis des décennies. L’amélioration des capacités défensives de la Syrie est devenue une préoccupation pour Moscou, qui apporte sa coopération à leur renforcement, en dépit des observations et du mécontentant des Israéliens. Jusqu’en 2006, le soutien militaire russe à la Syrie est resté cantonné à des processus de modernisation, à l’entretien d’armements plus ou moins caducs et à la formation d’officiers syriens. Cette année-là, on estimait que 10 000 d’entres eux avaient fait au moins un passage entre les mains d’experts soviétiques ou russes. A cette même date, près de 2 000 conseillers militaires russes se trouvaient sur le territoire syrien. A partir de 2006, les choses se sont accélérées, la Russie et la Syrie s’étant mis d’accord pour des exportations d’armes de type défensif, notamment dans la défense aérienne (missiles de type Strelets, Buk-M2 Ural). Moscou veille toutefois à ne pas s’engager dans la voie de la vente d’armements potentiellement offensifs, qui auraient pour effet de nuire aux relations bilatérales avec Tel-Aviv. Ainsi en 2008, en réponse aux demandes pressantes israéliennes, la Russie refuse de vendre des missiles de type Iskander-E à Damas, car ils sont susceptibles d’être transformés en « armes de destruction massive ». Moscou joue donc un jeu d’équilibriste, cherchant à la fois à conforter une relation avec la Syrie redevenue stratégique, sans entrer en désaccord avec d’autres partenaires régionaux, dont l’importance est aussi d’ordre économique.
La Syrie se satisfait de cette recherche d’équilibre de la diplomatie russe. Elle sait qu’elle ne peut attendre davantage de la seule grande puissance – avec la Chine, mais sur un mode mineur – actuellement disposée à lui assurer une protection diplomatique en usant de son droit de veto au Conseil de Sécurité de l’ONU. Pour montrer son engagement dans cette relation, le régime syrien se positionne dès qu’il le peut comme un partenaire inconditionnel de Moscou. Il apporte ainsi son soutien à une autre présidence héréditaire, celle des Kadyrov, en prise à la dissidence tchétchène. En août 2008, la Syrie est le deuxième Etat après la Biélorussie à apporter son appui à Moscou dans sa guerre contre la Géorgie. En échange de ses prises de position, Damas attend des marques de solidarité russes en cas de troubles, qu’ils soient régionaux ou internes, comme c’est le cas aujourd’hui. Cet appui de Moscou s’est déjà manifesté à plusieurs reprises. En juillet 2003, trois mois après la chute du régime irakien de Saddam Hussein, les dirigeants russes ont invité Bachar al-Assad à Moscou, affichant leur solidarité avec le chef de l’Etat syrien que les Etats-Unis, qui discutaient à la même période du « Syrian Accountability and Lebanese Sovereignty Restauration Act », s’apprêtaient à inscrire sur la liste des indésirables de Washington. En 2005, alors que la Syrie était diplomatiquement isolée, la Russie a maintenu de bonnes relations avec Damas. Si trois ans plus tard Bachar al-Assad a été réhabilité internationalement à l’initiative de Nicolas Sarkozy, à la faveur de son projet d’Union Pour la Méditerranée, et s’il a obtenu de Washington, en janvier 2011, la désignation tant attendue d’un nouvel ambassadeur, la Russie reste la seule grande puissance dont les relations avec le régime des Assad se caractérisent aujourd’hui par une relative stabilité.
Bachar al-Assad et ses proches savent qu’ils doivent ménager et fidéliser cet allié puissant. La concession aux Russes d’une base navale militaire à Tartous entre dans ce cadre. Cette base avait été mise à la disposition des forces navales soviétiques dès la fin des années 1960. Mais la qualité médiocre de ses infrastructures et sa faible profondeur en faisaient plus un point de ravitaillement et de maintenance qu’une réelle base militaire et logistique. Laissés dans un relatif abandon à la chute de l’URSS, les lieux n’ont été réinvestis par Moscou qu’en 2008. D’ici 2012, les aménagements entrepris – la construction de deux quais flottants, de dépôts, de casernes et d’autres infrastructures – permettront à Tartous d’accueillir les plus gros bâtiments de la flotte russe, comme le croiseur Piotr Veliky.
Cette base, qui offrira un accès méditerranéen hautement stratégique à la Russie, s’ajoutera alors à celles dont Moscou dispose déjà sur la Mer Noire, à Novorossisk (Russie) et à Sébastopol (Ukraine). Alors que la Russie s’apprêtait à évacuer ce dernier port en 2017, rendant urgent un réaménagement du port de Tartous, le retour au pouvoir à Kiev de Viktor Ianoukovytch, en 2010, et la signature d’un nouvel accord lui ont offert un sursis de 25 ans. Mais il n’enlève rien à l’intérêt d’une implantation en Méditerranée, qui permet à Moscou de s’affranchir des contraintes liées au franchissement des détroits contrôlés par la Turquie, membre de l’OTAN. De plus, de par sa proximité avec le canal de Suez, Tartous permet de rejoindre la Corne de l’Afrique et l’Océan Indien, où la marine russe participe à la lutte contre la piraterie sévissant dans le Golfe d’Aden. La mise à disposition de cette infrastructure a été à l’origine de tensions dans les relations entre Moscou et Tel Aviv, les Israéliens étant peu désireux de voir déployés en Syrie des missiles anti-navires de type Yakhont ou d’autres matériels sophistiqués. Leur installation était justifiée, aux yeux des Russes, par la nécessité de protéger leurs navires, mais ils offraient de facto à la Syrie une protection supplémentaire contre toute incursion de son voisin. Malgré les protestations israéliennes, la Russie reste déterminée et, en février 2011, Anatoli Serdioukov, ministre de la Défense russe, a annoncé que le « contrat était en cours de réalisation » et que les livraisons auraient lieu en temps et en heure. Le 5 juillet 2011, la Russie ne voyait toujours pas de raisons objectives à l’arrêt de la coopération militaro-technique avec la Syrie.
« Jusqu’où la Russie est-elle prête à soutenir la Syrie ? »
En réponse à cette question, que lui posait au milieu du mois de juin une journaliste de la TV officielle syrienne, l’ambassadeur de Russie à Damas, Serguey Kirpichenko, a implicitement conditionné le soutien de son pays à la mise en œuvre d’une « solution politique aux événements en cours » et la « réalisation des réformes ». Prié de donner son avis sur la « fabrication et l’exagération des faits » auxquels se livraient, selon les médias syriens, la presse et les télévisions étrangères, il n’a pas nié que la désinformation existait, mais il a précisé – un détail que l’agence officielle de presse SANA a oublié de rapporter – que la désinformation serait nettement plus limitée si la Syrie autorisait l’entrée de journalistes étrangers pour couvrir les événements. Il pouvait difficilement être plus explicite.
Le 21 juin 2011, en visite en France, Vladimir Poutine est allé plus loin. Tout en maintenant son refus d’une résolution internationale condamnant la Syrie, il a adressé une mise en garde à Bachar al-Assad et à son régime qui peut être qualifiée de « sérieuse ». Selon l’agence de presse russe, RIA Novosti, il a en effet déclaré que, « pour une raison inconnue, on a l’impression que nous avons des relations particulières avec la Syrie. A l’époque soviétique, c’était le cas. Mais ça ne l’est plus aujourd’hui. Actuellement, la Syrie a plutôt des relations particulières avec la France ». Il a ajouté : « Nous n’y avons pas d’intérêts particuliers : ni bases militaires, ni grands projets, ni investissements importants à défendre. Rien ». Et, faisant référence à l’installation au pouvoir de Hafez al-Assad en novembre 1970, il a conclu : « Nous sommes conscients qu’il est impossible d’utiliser des outils politiques datant de 40 ans dans le monde contemporain. J’espère que le gouvernement syrien en est conscient et en tirera les conclusions nécessaires. »
De tels propos suggèrent que Moscou ne se tiendra pas indéfiniment au côté du régime syrien. Son soutien n’est pas aussi inconditionnel qu’il y paraît. Les pressions d’autres partenaires, plus importants que la Syrie, pèsent dans la définition de la politique étrangère russe. On se souviendra que, le 2 septembre 2004, lors de la réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU, la Russie n’a pas fait usage de son droit de véto pour empêcher l’adoption de la résolution 1559, qui imposait à toutes les troupes étrangères de se retirer du Liban. On se souviendra aussi qu’elle ne l’a pas fait davantage, le 31 octobre 2005, lors de la discussion de la résolution 1636, qui réclamait du gouvernement syrien qu’il apporte sa coopération à la commission d’enquête sur l’attentat contre Rafic Hariri…
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La Russie et la Syrie : un soutien inconditionnel?
Toujours un plaisir de te lire l’ami
La Russie et la Syrie : un soutien inconditionnel?
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