Les Chinois ont d’abord cru que la guerre en Ukraine les servirait dans leurs desseins impériaux à Taïwan. Mais, face aux succès ukrainiens, cet enthousiasme a vite laissé place à la consternation à Pékin, où l’on voit que l’armée russe est une sorte de tigre de papier. Cette prise de conscience pourrait freiner le pouvoir chinois à Taïwan et modifier son rapport à la Russie, ouvrant des opportunités pour l’Occident.
Les Chinois ont d’abord cru que la guerre d’Ukraine les servirait dans leurs desseins impériaux de réintégration par la force du territoire de Taïwan dans la grande Chine. Avec ce nouveau foyer de tension au cœur de l’Europe, pensaient-ils, les Américains auraient la tête ailleurs et devraient consacrer ressources et armements à soutenir Kiev, rendant tentante l’éventuelle ouverture d’un deuxième front asiatique. Bref, les stratèges parlaient, pour Pékin, d’une fenêtre d’opportunité stratégique, même si la CIA, elle, pariait sur cinq années de répit. Poutine n’avait-il pas paru sûr de son fait, prêt à ne faire qu’une bouchée de l’Ukraine et vantant la force de son armée reconstruite en dix ans ? Certains en concluaient déjà que les régimes autoritaires allaient prendre le pas sur les démocraties et faire un sort à l’Occident empêtré dans ses contradictions, mettre à bas sa suprématie pour créer un « nouvel ordre » international, ce rêve commun de Xi et de Poutine. Mais, avec la résistance farouche de l’Ukraine, et la mobilisation inattendue de l’Otan sous la houlette des États-Unis, cet enthousiasme a vite laissé place à la consternation à Pékin, quand le gouvernement de Xi a réalisé que Kiev ne serait prise ni en trois jours ni en dix, et que l’armée russe était, sinon un « tigre de papier », du moins une « oie faiblarde », comme le rapporte l’expert russe de la fondation Carnegie Timour Oumarov, citant des journalistes chinois ironiques.
Cette prise de conscience de la faiblesse militaire russe devrait ébranler durablement l’importance que revêt la relation sino-russe aux yeux de Pékin. Désormais, « la Chine regarde la Russie comme un typhon qu’elle ne peut arrêter mais qu’il faut endurer », affirme l’expert Alexandre Gabouev. Si leur désir commun de confronter l’Occident continue de cimenter la relation Xi-Poutine, l’aura déjà réduite de la Russie, qui continuait d’être respectée pour sa puissance militaire malgré son statut de partenaire économique junior, se retrouve largement ternie. Venant ajouter à l’asymétrie de la relation entre les deux pays et à la prise de distance de Pékin vis-à-vis de l’aventure russe pour ménager ses autres partenaires internationaux.
Les plans maximalistes de guerre « jusqu’à la victoire » que l’implacable président Poutine a annoncés lors de ses vœux du 31 décembre pourraient donc devenir une source de préoccupation croissante pour son allié Xi Jinping, qui voit d’un mauvais œil la tension internationale grandir et la Russie multiplier les menaces de frappes nucléaires. Ils pousseront ce dernier à réfléchir à deux fois avant de s’engager dans une aventure similaire à Taïwan. « Xi se demande si la faiblesse de l’armée russe ne va pas mener à l’effondrement du régime poutinien comme ce fut le cas en 1917 », note Charles Tannok dans Project Syndicate.
Cet effet décalé du conflit ukrainien doit nous faire réfléchir plus globalement à l’échiquier du monde et nous convaincre de cesser de nous comporter comme si l’Occident démocratique avait déjà perdu la bataille. Il s’avère que la résistance héroïque des uns en Ukraine peut changer la résistance ou l’agressivité des autres, aujourd’hui en Chine, demain en Iran… Bref, malgré tous les vents contraires, nos choix pèsent sur les grands équilibres globaux qui semblent pourtant nous dépasser. Dans son interview à notre correspondant Sébastien Falletti, l’un des ex-leaders de la révolte de Tiananmen, Wuer Kaixi, ne dit pas autre chose, invitant les Occidentaux à ne pas poursuivre leur politique cynique d’apaisement de Pékin pour des raisons d’intérêt économique. Il ne faut pas « répéter avec Xi l’erreur commise avec Poutine », explique-t-il, persuadé que la Russie « a envahi l’Ukraine avec la présomption que l’Occident était faible et laisserait faire ».