Nouria Bengebrit, ministre de l’Éducation nationale de l’Algérie, veut favoriser une adaptation progressive à l’arabe classique, que peu d’enfants parlent chez eux. Mais les conservateurs et les oulémas y voient une atteinte à la langue du Coran.
La volonté d’introduire une dose d’arabe dialectal dans l’enseignement scolaire en Algérie, sur une recommandation récente d’experts, a déclenché une révolte des puristes et des conservateurs contre la ministre de l’Éducation nationale Nouria Benghebrit.
« Violation de la Constitution », « atteinte à l’unité nationale », « trahison du serment des martyrs » de la guerre d’indépendance : ce qui était censé être une affaire pédagogique a pris une tournure politique et idéologique.
Des partis politiques, des associations et des dignitaires religieux ont fait bloc contre la recommandation exprimée cette semaine lors d’une conférence nationale sur l’évaluation de l’école, sans être adoptée officiellement.
Les islamistes réclament la démission de la ministre
Des députés de la coalition islamiste Alliance Verte ont réclamé le départ immédiat de Nouria Bengebrit, nommée en mai 2014 dans le gouvernement d’Abdelmalek Sellal.
Depuis, cette sociologue diplômée de l’université de Paris V, fait face à une franche hostilité des conservateurs, qui ont souvent contrôlé le secteur de l’éducation et qui lui reprochent de supposés penchants francophiles.
En Algérie, où l’identité nationale est composée selon la Constitution par l’islamité, l’arabité et la berbérité, la question linguistique a toujours fait l’objet de vifs débats. Si le statut officiel de la langue arabe fait consensus, la place du tamazight (berbère), reconnue comme langue nationale depuis 2002, et du français, langue de l’enseignement scientifique et des affaires, héritée de l’ancienne puissance coloniale, soulève des polémiques sans fin.
Les conservateurs ont peu de considération pour l’arabe dialectal
Le pays avait même adopté une loi généralisant l’emploi de la langue arabe dans toutes les institutions à partir du 5 juillet 1998. Mais son application a été reportée sine die, car il était peu réaliste d’abolir aussi abruptement tout recours au français.
Les conservateurs voudraient que l’arabe littéral, langue du Coran, soit doté d’un statut hégémonique et le français réduit au rang de langue étrangère en concurrence avec l’anglais, tandis que le berbère resterait confiné dans les seules régions où il est parlé.
Ils ont peu de considération pour l’arabe dialectal, tissé d’emprunts au français, à l’espagnol ou au berbère.
Or, l’arabe académique que l’enfant algérien découvre à son entrée à l’école à six ans est loin du dialectal qu’il avait jusque-là parlé à la maison, variable d’une région à une autre de surcroît, et plus loin encore du berbère.
Un important échec scolaire
Cette distorsion est à l’origine d’un important échec scolaire, estiment les spécialistes qui militent pour une introduction de l’arabe dialectal et du berbère, langues maternelles, dans les deux premières années de l’enseignement, afin de faciliter l’acquisition des notions fondamentales.
« En utilisant la langue maternelle dans l’enseignement, on développe une partie importante du cerveau », argumente Nouria Benghebrit en citant des spécialistes en neurosciences. Les spécialistes « disent aussi que pour augmenter les capacités linguistiques des enfants, il faut s’appuyer sur les langues maternelles », poursuit la ministre interrogée jeudi 30 juillet par le quotidien El Watan.
Elle estime que « la langue arabe est très mal enseignée » aujourd’hui. « Même dans les wilayas (préfectures) du sud où un nombre important d’enfants fréquente les écoles coraniques (où ils se familiarisent avec l’arabe littéral avant l’école, NDLR), les résultats sont très faibles ». Pour elle, « s’il n’y a pas de maîtrise de la langue arabe scolaire il n’y aura pas de réussite, y compris dans les matières scientifiques et les mathématiques ».
L’association des ulémas évoque un retour « à l’ère de la colonisation »
« Il faut parvenir à la langue arabe académique de manière progressive », soutient Farid Benramdane, inspecteur général chargé de la pédagogie. « L’enfant ne doit pas subir un choc en découvrant à l’école une langue qui n’est pas celle de son foyer », poursuit-il dans une interview au quotidien El Khabar.
Pour l’association des ulémas (docteurs de la foi), « cette démarche nous reconduit à l’ère de la colonisation » française (1830/1962), lorsque selon elle, les colons favorisaient les dialectes au détriment de l’arabe. Un de ses responsables, Amar Talbi a appelé « les associations civiles et les institutions culturelles à combattre cette idée pour préserver la pureté de notre langue et la mettre à l’abri de toute menace ».
AFP
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