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En Thrace, la charia décroît mais fait toujours débat

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ON SE SENT souvent épié en se promenant dans les ruelles quasi désertes des villages agricoles de Miki ou de Molivoia en Thrace, région située au nord-est de la Grèce. Alors que les cheminées envoient une fumée noirâtre, des regards furtifs s’effacent derrière de rideaux. Devant leurs fenêtres, des femmes, issues de la minorité musulmane de la région, qui obéissent à la charia, la loi islamique. Le spectacle détonne en 2017 dans un pays européen comme la Grèce et alors que ces citoyens disposent de la nationalité hellène. Ce phénomène décroît cependant et depuis quelques années, ces femmes sortent de chez elles. Outre leurs tâches ménagères, elles participent aux travaux agricoles, en coupant du bois par exemple, mais se taisent quand elles croisent des inconnus.

Ces villages, interdits d’accès jusqu’au milieu des années 1980, évoluent constamment. Vers midi, il n’est pas rare de voir des jeunes filles, vêtues de tabliers et de foulards colorés se diriger, livres en main, vers la bibliothèque. Au café, un transistor crache des informations en turc. Des hommes, – frappés par la paupérisation de la région productrice de tabac – conversent. D’autres lisent le journal communautaire, le Gündem gazete.

Ozan Ahmetoglou, journaliste au Gündem, considère que les moeurs de la minorité ont beaucoup évolué. « Nombre de familles vivent dans les villes de Xanthi ou Komotini à présent, où l’application de la charia n’est pas aussi stricte qu’au MoyenOrient. Certes, nous conservons des préceptes comme ne pas manger de porc et nous avons deux muftis par ville. Mais les femmes ne sont pas toutes voilées et les jeunes filles affluent à l’université », dit-il.

La minorité musulmane de Thrace compte quelque 100 000 personnes depuis 1923, quand la Grèce et la Turquie ont procédé à un échange des populations. La plupart sont turcs de souche, mais il y a aussi des Pomaques (Slaves) et des Roms. « Nous sommes l’exemple d’une cohabitation pacifique avec les Grecs orthodoxes. Les églises et les mosquées se côtoient dans toute la région et il n’y a pas d’incident », avance Gulbeyaz Karahasan. Cette avocate de 39 ans, emblème de la modernité, ne porte ni tenue traditionnelle, ni voile, « malgré les remarques désagréables faites au début », note-t-elle. Elle s’est mariée à la mairie et pas devant le mufti, et s’engage auprès de la minorité religieuse. « Je fréquente les mêmes salons de beauté, les mêmes supermarchés que les Grecs orthodoxes », précise-t-elle.

Recours européen

Lors de sa dernière visite en Thrace, le 14 novembre, Alexis Tsipras, le premier ministre grec, avait annoncé vouloir rendre la charia facultative. « Le texte est prêt et nous l’avons déposé à la Vouli (le Parlement). Les débats vont bientôt commencer, confie Giorgos Kalantzis, secrétaire général du ministère grec de l’Éducation. C’est la minorité qui demande d’avoir ce choix. » Mais pour Me Giannis Kitsakis, le gouvernement aurait dû l’abolir. « Son application, même facultative, bafoue les droits des femmes et des enfants, ouvre la voie à de lourdes discriminations et n’a aucune raison de s’appliquer à des citoyens grecs. Il est inadmissible que certains Grecs, sous prétexte de leur religion, ne bénéficient pas des mêmes libertés », s’insurge-t-il. Cet avocat défend les droits de Hatice Molla Salih, dont le défunt mari avait décidé, avant sa mort, de s’abstenir de la charia et a contracté un testament public chez le notaire. « Or la famille du défunt a dénoncé ce document au motif que la charia n’autorise pas le testament. Il était donc nul à leurs yeux. Mais le pire est que la Cour de cassation leur a donné raison en invalidant le testament au motif que la loi grecque affirme que la charia s’applique à tous les musulmans ! » Me Kitsakis a saisi la Cour de justice de l’Union européenne et espère bien que le jugement marquera le début de la fin de la charia en Grèce. « Il faut que la Thrace suive l’exemple de Mayotte qui a abrogé la charia en 2010 », conclut-il. Le débat ne fait que commencer, les nationalistes grecs dénonçant la visite de Recep Tayyip Erdogan comme un signe d’encouragement à la pratique de la charia.

Le Figaro

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