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L’accord avec l’Iran bouleverse l’équilibre régional

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Par Hélène Sallon

A part les critiques explicites d’Israël, un concert de congratulations crispées et artificielles a accueilli, au Moyen-Orient, la signature de l’accord sur le nucléaire iranien, mardi 14 juillet à Vienne. Les Emirats arabes unis et le Koweït ont respectivement adressé des télégrammes de félicitations à l’Iran pour cet « accord historique », et d’espoir pour cette « nouvelle page » vers la stabilité et la sécurité dans la région.

Masquant mal sa déception, l’Arabie saoudite a adressé à son grand rival régional ses espoirs de bâtir de « meilleures relations » sur la base du « bon voisinage et de la non-ingérence dans les affaires internes ». Ces félicitations polies et ces vœux pieux masquent mal la réelle inquiétude des puissances arabes sunnites de voir les appétits régionaux de Téhéran aiguisés par son retour en grâce sur la scène internationale et la confrontation avec le rival chiite connaître une nouvelle escalade.

Depuis le début de son second mandat, en 2012, le président américain Barack Obama a placé tous ses efforts dans l’obtention de cet accord, avec l’espoir qu’il redessine un nouvel équilibre dans une région en plein embrasement. « C’est le pari d’Obama. Il veut rééquilibrer le rapport de force entre l’Arabie saoudite et l’Iran, entre sunnites et chiites, avec l’idée que ces deux forces se neutralisent et que l’Iran devienne un acteur responsable », indique une source diplomatique occidentale. Ce pari, jugé risqué par certains, part de la remise en cause par l’administration Obama de trente ans de financement par la monarchie wahhabite de mouvements salafistes et djihadistes au Moyen-Orient, qu’elle a été incapable de maîtriser, à l’instar d’Al-Qaida et de son émanation, l’Etat islamique (EI).

« Profond mépris  »

« Il y a [à Washington] un profond mépris pour le Golfe, alors que l’Iran est nouveau, fascinant, sophistiqué. Il est vu comme un grand acteur international, avec une sphère d’influence et son confessionnalisme chiite est considéré comme défensif », estime une source proche des cercles du pouvoir au Moyen-Orient. L’arrivée au pouvoir en 2013 du président Hassan Rohani et de son chef de la diplomatie, Mohammed Javad Zarif, jugés pragmatiques et responsables par l’administration américaine, ont fait espérer la victoire à Téhéran du camp des modérés sur les tenants de l’expansionnisme perse et de l’anti-américanisme au sein de la République islamique. Un espoir renforcé par la santé faiblissante de l’ayatollah Ali Khamenei, aujourd’hui âgé de 75 ans.

Cette vision s’accommode parfaitement de la doctrine Obama d’un désengagement au Moyen-Orient et de son refus de déployer de nouvelles troupes au sol, après les fiascos des guerres menées en Afghanistan et en Irak pendant plus d’une décennie. « M. Obama veut traiter avec des acteurs censés en faire davantage pour eux-mêmes. Il reconnaît à chacun une sphère d’influence et finit par soutenir tout le monde contre tout le monde », poursuit ce commentateur, très critique de la politique américaine dans la région.

Cette doctrine non dite de l’administration Obama renforce la posture régionale de l’Iran et ses intérêts stratégiques dans sa sphère d’influence chiite, qui s’étend de la Méditerranée (au Liban) au golfe Persique (en Irak), en passant par la Syrie.

Les pays arabes sunnites restent persuadés que Téhéran mettra à profit sa nouvelle puissance, économique comme politique, pour accroître ses ingérences dans la région

Après l’accord nucléaire de Vienne, les Etats-Unis devraient limiter encore davantage leurs pressions contre l’aide accordée par l’Iran aux milices chiites dans la lutte contre l’Etat islamique en Irak. En Syrie, Washington devrait également atténuer ses critiques sur le soutien donné par Téhéran au président Bachar Al-Assad, dont le maintien au pouvoir est considéré comme stratégique pour les intérêts iraniens et ceux de son allié, le Hezbollah libanais. Pour autant, il ne faut pas s’attendre à un lâchage pur et simple par Washington de ses alliés arabes dans le Golfe, qui continuent à être armés et soutenus par les Etats-Unis, notamment au Yémen contre la progression des milices houthistes soutenues par l’Iran.

Dans son allocution télévisée, mardi, le président iranien, Hassan Rouhani, a joué le jeu de l’apaisement, assurant que l’Iran avait tout intérêt à ce que le Moyen-Orient connaisse la stabilité. Ces mots ne suffiront pas à convaincre les pays arabes sunnites, qui restent persuadés que Téhéran mettra à profit sa nouvelle puissance, économique comme politique, pour accroître ses ingérences dans la région. Le déblocage annoncé de 150 milliards de dollars de revenus du pétrole gelés par les sanctions donne déjà le vertige. Une partie pourrait servir à soutenir le financement du Hezbollah libanais, qui recevrait déjà environ 200 millions de dollars d’aide annuelle selon les experts, ou la ligne de crédit accordée au régime syrien, estimée à 35 milliards de dollars par an par l’émissaire de l’ONU Staffan de Mistura.

Pessimisme

Les puissances sunnites du Golfe n’ont pas attendu la signature de l’accord pour s’adapter à cette nouvelle donne régionale. Depuis plusieurs mois, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie ont joint leurs forces pour soutenir les rebelles syriens contre Bachar Al-Assad. Conviées à Camp David, aux Etats-Unis, les 13 et 14 mars, elles ont obtenu du président Obama un engagement à les armer davantage. La nouvelle équipe au pouvoir en Arabie saoudite n’a pas tardé, sous la houlette du roi Salman, à s’émanciper de l’allié américain en réunissant une coalition arabe pour lancer, le 26 mars, une opération contre les milices houthistes au Yémen – perçues comme un cheval de Troie iranien dans l’arrière-cour stratégique saoudienne en raison de leur confession chiite – sans même consulter Washington en amont.

La confrontation de plus en plus ouverte entre l’Arabie saoudite et ses alliés d’une part, et l’Iran et ses obligés de l’autre, du Liban au Yémen en passant par la Syrie, renforce le pessimisme de certains observateurs sur le pari fait par Barak Obama. « Les deux puissances [Iran et Arabie saoudite] n’ont pas intérêt à se responsabiliser. Chacun a beaucoup à céder », juge une source diplomatique. Plutôt que de baisser les armes, les deux camps ont renforcé leurs capacités défensives. L’Arabie saoudite a débloqué 50 milliards de dollars sur ses gigantesques réserves de change pour rénover son armée, notamment ses forces navales. L’Iran a décidé de consacrer 5 % de son budget à la défense dans son sixième plan quinquennal, publié le 30 juin, en mettant l’accent sur ses capacités balistiques.

La moindre étincelle pourrait mettre le feu aux poudres entre les deux pays. « On s’oriente vers de grandes guerres. Les Iraniens ne sont pas prêts à assumer leur pouvoir et vont multiplier les erreurs avant d’arriver au stade de maturité », estime la source proche des cercles du pouvoir moyen-orientaux. Ce scénario catastrophe est écarté par d’autres observateurs. « On risque davantage de voir la poursuite d’une guerre froide, avec des pics et des retombées. Jusqu’à quand auront-ils les reins pour le faire ? », s’interroge la source diplomatique occidentale. La perspective d’un Yalta entre les deux grandes puissances régionales paraît peu envisageable pour le moment. « La région est tellement fragmentée que chaque acteur gère selon ses intérêts et que pas un seul acteur ne peut la diriger », conclut-elle.

Le Monde

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