Tiens, voilà encore autre chose. Lassé par le « partage de travail », qui laissait aux seuls Libanais du sud (Chiites, pour parler proprement) le soin de défendre le territoire et de subir, seuls, le hachoir israélien, le parti khomeyniste veut maintenant enrôler tous les Libanais dans son projet. Ses principaux apparatchiks se sont donné le mot et se sont répandus dans les hameaux et les villages pour sonner l’hallali. « Après Gaza, le modèle de la résistance doit être généralisé à tous les Libanais », ont-ils répété à l’unisson. Sonnez trompettes, battez tambours, organisons la farandole, un avenir radieux s’ouvre devant nous et pour l’éternité.
Un quart de siècle après sa création, le parti khomeyniste libanais a réussi au terme d’une épopée pleine de sang et de fureur à changer radicalement les termes de l’équation libanaise. Les Libanais, qui avaient suivi de près son développement et sa montée en puissance, ont tantôt réagi avec une indifférence teintée de mépris, tantôt avec un étonnement gêné, mais jamais avec une perception réelle du danger. Aujourd’hui, ils constatent avec un effarement farouche que le monstre tentaculaire s’est définitivement installé parmi eux et qu’il est en train de façonner durablement l’avenir de leur pays.
L’indifférence était essentiellement due au « cloisonnement » des communautés libanaises et à la « spécialité » (Cf. Ahmad Beydoun) dont les principales d’entre-elles s’étaient arrogé le monopole. À partir du moment que l’organisation chiite s’était exclusivement attelée à la tâche de libérer les territoires occupés par Israël, les autres communautés ne s’étaient nullement senties concernées. Après tout, le sud du pays est majoritairement chiite, le parti khomeyniste aussi, alors pourquoi diable auraient-elles du se mêler d’une « affaire » qui ne concernait que les Chiites ? Cette logique est implacable ! Elle est celle du système libanais.
De la même manière, les Chrétiens pouvaient tout à loisir se consacrer à leur propre spécialité (la souveraineté) et les Sunnites à la leur (la construction), les Chiites n’avaient rien à y redire ! Ce « partage du travail » semblait convenir à tout le monde dès lors qu’il était convenu que personne n’empiétait sur les prérogatives des autres. La galère libanaise pouvait voguer tranquillement, les galériens libanais peiner à leur guise et tout le monde était content !
Sauf que le parti chiite ne l’entend plus de cette oreille. Ayant réussi à dérégler le fonctionnement démocratique et obtenu que rien ne soit décidé sans son assentiment, il se sent désormais à l’étroit dans sa « spécialité » et veut généraliser son projet sacrificiel à tous les Libanais. Par un travestissement pathologique de la réalité, il se sert aujourd’hui du carnage de Gaza pour justifier le bien-fondé de sa stratégie.
Après ce qui s’est passé à Gaza, « il n’y aura plus, dans le cadre du dialogue, de débat sur le retrait des armes, mais plutôt sur la généralisation du modèle de la résistance à tous les Libanais », proclame le héraut du malheur, Nabil Kaouk. Telle est la nouvelle « équation » édictée par le parti chiite. Elle pose un jalon, mais se projette aussi vers une échéance toute proche, celle des élections législatives. Sur cet enjeu, le même Kaouk ainsi que tous les corbeaux du parti ne laissent planer aucun mystère. « Les prochaines élections législatives seront une étape de plus pour protéger la position, le rôle et l’identité du Liban résistant », coassent-ils.
Les contours de l’État « fort et juste », dont les Libanais sont abreuvés à répétition, commencent ainsi à ses dessiner sous leurs yeux. Ils savent désormais ce qui les attend. D’ersatz de citoyens qu’ils sont aujourd’hui, ils deviendront des martyrs en puissance, des candidats au sacrifice sur l’autel du projet panislamique iranien. Karbala pour tous et pas de quartier !