Aux yeux de l’Histoire et la Philosophie des Sciences, les images médiatiques du « Royal Wedding » de Windsor viennent réparer des siècles de préjugés pseudo-scientifiques que l’homme blanc a sciemment entretenus à l’égard de l’homme noir.
Du XVI° au XIX° siècle, on assiste à l’émergence et au déploiement quasi démentiel du concept naturaliste de « race », concept toujours couplé à l’absolutisme du préjugé moral à l’égard de l’homme de couleur. La découverte des Amériques, l’exploration de l’Afrique et des terres lointaines de l’Asie ont jeté le trouble dans l’esprit de l’homme blanc. Ces gens de couleur, aux traits inhabituels sont-ils des humains ? Descendent-ils, comme il se doit, d’Adam et d’Eve à travers la lignée des fils de Noé : Sem, Cham et Japhet ?
Le grand public a oublié toutes les invraisemblances scientifiques qu’on a élaborées afin de justifier la haine de cet « Autre » et les cruels sévices qu’on lui a fait subir. Il suffit de rappeler certaines images où le « nègre » était figuré à titre de curiosité zoologique en compagnie de ses « frères » de race, les singes. Doit-on évoquer l’ignoble Code Noir français qui réglementait de manière scrupuleuse l’indigne commerce des esclaves où des millions d’Africains furent déménagés vers les Amériques dans les conditions de transport du bétail ? Enchaînés dans les cales, parfois munis d’une « muselière », des millions et des millions d’anonymes innocents ont connu les pires tortures et les pires humiliations pour l’unique raison qu’ils étaient d’une autre couleur.
Au vu des images du surprenant mariage de Harry et Meghan, on se demande comment cela fut-il possible. Comment des hommes de science ont-ils pu répandre de tels ragots qui ont conféré au racisme européen du XVIII°s au XX°s son trait caractéristique de discours rationnel et scientifique qui permet à la haine altruicide de dépasser le simple registre de l’imbécile xénophobie.
Quand Charles Linné mit au point la classification naturelle des êtres vivants, son ordre des « Anthropomorphia » distinguait « l’Européen Blanc, ingénieux, inventif, gouverné par les lois » du « Nègre Africain, rusé, paresseux, noir, gouverné par la volonté de ses maîtres ».
Aux yeux des racistes de l’époque coloniale, l’union d’un colon avec une africaine était l’équivalent de la saillie de deux espèces différentes d’équidés comme le cheval et l’âne. Le produit d’une telle union contre-nature produit nécessairement une « mule humaine », un « mulâtre », terme méprisant et injurieux. Lord Kames affirmait en 1774 : « La couleur des nègres permet de conclure qu’ils appartiennent à une autre espèce ». Edward Long classe en 1780 le genre « homo » en trois catégories hiérarchisées : Européens et apparentés, Nègres, Orangs-Outangs. Armand de Quatrefages, parlant de ces derniers en 1857 dit : « Les orangs-outangs ne semblent pas du tout inférieurs aux nègres et on peut croire qu’il existe entre eux la plus intime consanguinité ». On rappellera, en passant, la « guerre des poux », polémique universitaire qui vit s’affronter les plus grands esprits européens sur la question du « poux du nègre » différent du « poux du blanc » qu’auraient découvert les Docteurs Meckel et Fabricius de l’Académie de Berlin. L’existence du « poux nègre » était une preuve de la non-appartenance de l’homme noir à notre commune humanité.
Et ces révoltantes expositions coloniales intitulées « zoo humain » ? Et ces régimes ignobles d’apartheid ? Et ces mesures indignes contre l’homme de couleur justifiées uniquement par le fantasme de la pureté raciale ? Sans oublier toutes les discriminations et exclusions contemporaines qui trouvent leurs justificatifs dans des pseudo-arguments qui magnifient l’identité d’un groupe au détriment d’un autre.
Le racisme et la haine de l’Autre n’ont pas disparu. La science d’hier, appelée Anthropologie Physique, qui a servi à essentialiser le concept de race, scientifiquement injustifié et moralement injustifiable, est aujourd’hui remise au goût du jour par une anthropologie moléculaire fondée sur la génétique des populations, science respectable mais largement galvaudée au service de la hiérarchisation des populations en termes de valeurs.
Les images de Windsor où nous vîmes Madame Doria Ragland, la mère de la mariée, sous les ogives de la Chapelle Saint Goerges, face à la reine Elisabeth II, descendante de Guillaume le Conquérant, reflétaient quelque chose de surnaturel. Une sorte de « amazing grace » se laissait palper dans ce moment exceptionnel où, à travers Mme Ragland, des siècles de haine blanche étaient pardonnés par l’homme noir réhabilité dans son éminente et somptueuse dignité humaine. On aimerait qu’une telle image démolisse tous les murs qu’on érige aujourd’hui entre les hommes. On aimerait aussi que ces images puissent faire comprendre combien sont vaines ces crispations sur des identités collectives quand ces dernières sont perçues comme des essences pérennes.
A Elisabeth II qui, du haut de son trône, a rendu cela possible, il est légitime de dire au nom de l’unique humanité : « Thank you Madame. God save the Queen »
acourban@gmail.com
*Beyrouth