Des hélicoptères chinois survolent l’île de Pingtan, lors d’exercices militaires inédits contre Taïwan, le 4 août 2022.
La visite de l’Américaine Nancy Pelosi à Taipei a mis le feu aux poudres entre Taïwan et la Chine, laissant les acteurs économiques impuissants face à l’escalade qui pourrait avoir des conséquences importantes sur les marchés mondiaux. Explications.
Une visite perçue comme une provocation par la Chine. Mardi 2 août, la cheffe des députés américains, Nancy Pelosi, s’est rendue à Taïwan dans le cadre d’une tournée asiatique pour apporter le « soutien inconditionnel de l’Amérique » à Taipei. De quoi susciter de vives réactions de la part de Pékin qui accuse les États-Unis d’avoir trahi leur engagement de n’entretenir aucune relation officielle avec le territoire insulaire revendiqué par la Chine. Résultat: Pékin a dès le lendemain lancé une vaste opération militaire aérienne et maritime en effectuant des exercices autour de l’île. La Chine « mène des exercices militaires et des tirs de missiles à grande échelle, ainsi que des cyberattaques, une campagne de désinformation et une coercition économique afin d’affaiblir le moral de la population à Taïwan. Elle a utilisé les exercices et sa feuille de route militaire pour préparer l’invasion de Taïwan », a dénoncé ce mardi 9 août Joseph Wu, le chef de la diplomatie taïwanaise.
Une escalade qui fait craindre un conflit armé entre les deux territoires, six mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Bien que Washington assure ne pas être inquiet pour Taïwan, le président américain Joe Biden s’est toutefois dit préoccupé par les actions de la Chine dans la région. Car en cas d’invasion de l’île par la Chine, les répercussions économiques pourraient être importantes.
L’approvisionnement en semi-conducteurs pourrait être perturbé
Indispensables pour la fabrication de nombreux appareils électroniques, notamment dans le secteur de l’aéronautique et de l’automobile, les semi-conducteurs pourraient se faire (très) rares en cas de conflit violent entre Pékin et Taipei. Ces petits composants électroniques sont en effet principalement exportés de Taïwan. « En 2020, la part de marché des acteurs taïwanais de l’industrie des semi-conducteurs atteignait 75,7% dans la fonderie, 56,7% dans l’emballage et les tests et 19,3% dans la conception », est-il noté dans un rapport de Bercy publié en février 2021. Autrement dit, 80% des importations mondiales de semi-conducteurs proviennent de Taïwan. Une force économique qui représente 15% du PIB de l’île et sur laquelle la Chine rêve de mettre la main dessus. Mais pour Mark Liu, PDG de l’entreprise taïwanaise TSMC, leader sur le marché des semi-conducteurs (représentant à elle seule 49% du marché), pas question de laisser Pékin prendre le pouvoir. « Personne ne peut contrôler TSMC par la force », a-t-il lancé lundi 1er août devant les caméras de CNN. « En cas d’usage de la force militaire ou d’invasion », les installations de TSMC deviendront « inopérantes », a-t-il ajouté.
Des propos qui font craindre un arrêt de la production en cas d’invasion, plongeant des milliers d’entreprises dépendantes des semi-conducteurs dans le chaos. La crise sanitaire avait déjà engendré une pénurie de ces composants, obligeant diverses sociétés dans le monde, notamment dans le secteur de l’automobile, à mettre en arrêt leur production.
Le trafic maritime international sous pression
Le fret maritime, déjà perturbé par la crise sanitaire, pourrait également être fortement impacté en cas d’escalade de violences, même si les conséquences des tensions entre la Chine et Taïwan sont déjà d’actualité. Lorsque Pékin a organisé un « blocus » de Taïwan pendant plusieurs jours via des exercices militaires autour de l’île, les porte-conteneurs du monde entier se sont retrouvés contraints de fuir le détroit de Taïwan alors que près de la moitié des bateaux commerciaux passent par cette zone.
Jeudi 4 août, plusieurs missiles ont survolé Taïwan, obligeant l’Administration chinoise de la sûreté maritime à interdire aux navires de pénétrer aux abords du détroit de Taïwan. À ce stade, les conséquences sur les chaînes d’approvisionnement mondiales seraient minimes avec seulement quelques jours de retard pour les navires bloqués. « Nous ne prévoyons pas d’impact pendant (cette) période et nous n’avons pas prévu de réacheminement de nos navires », a indiqué à l’AFP Bonnie Huang, porte-parole en Chine de Maersk, l’une des plus grandes compagnies de transport maritime du monde. Mais sur le long terme, les cargos n’auraient d’autre choix que de changer leur itinéraire en passant par l’Est de Taïwan et par la mer des Philippines. Un passage difficile en cette saison en raison des typhons récurrents.
À noter que les manœuvres chinoises ont également eu des conséquences sur le transport aérien. Les autorités taïwanaises ont en effet expliqué que les exercices militaires perturberaient 18 liaisons aériennes internationales traversant la zone. Au total, plus de 400 vols ont été annulés en deux jours dans les principaux aéroports du Fujian, la province chinoise la plus proche de Taïwan.
Une zone maritime convoitée
Les tensions actuelles entre les deux territoires pourraient par ailleurs amener Pékin à étendre son pouvoir en mer de Chine méridionale. Bordée par les Philippines, la Chine, l’Indonésie, le Vietnam, Taiwan, la Malaisie, Singapour et Brunei, cette zone maritime d’environ 3.000 kilomètres de long 1.000 kilomètres de large est disputée par ces pays. Depuis plusieurs décennies, ils revendiquent leurs droits sur plusieurs îles situées dans l’archipel des Paracels et des Spratleys, tous deux convoités pour ses eaux riches en poissons et pour son sous-sol qui regorge de pétrole et de gaz. Des ressources qui poussent Pékin à faire pression sur les pays frontaliers. À titre d’exemple, la Chine avait exigé du Vietnam, qui revendique une partie des Îles, qu’il cesse d’effectuer des recherches de gaz et pétrole en mer de Chine méridionale. Résultat: des patrouilleurs chinois auraient sectionné les câbles d’un navire d’exploration sismique du groupe public PetroVietnamen 2012.
Plusieurs témoignages de pêcheurs – rassemblés dans un article de Courrier international – évoquent par ailleurs des agressions perpétrées par des garde-côtes chinois aux alentours des îles Paracel et Spratly. « Ces eaux appartiennent à notre pays, mais les navires des garde-côtes chinois appréhendent les bateaux vietnamiens et tirent même sur les pêcheurs”, rapporte un pêcheur vietnamien.
Pour étendre son influence dans cette zone stratégique et affirmer sa souveraineté sur l’archipel des Spratlys, la Chine a même construit plusieurs îles artificielles depuis 2014, notamment pour y installer des bases aériennes.
Malgré une situation inquiétante ces derniers jours entre Pékin et Taipei, les choses semblaient s’apaiser ce mercredi 10 août. Le commandement oriental de l’armée chinoise a en effet expliqué que les exercices militaires étaient officiellement terminés. Toutefois, la Chine va continuer à mener des patrouilles dans le détroit de Taïwan et maintiendra ses troupes en ordre de bataille.