Et pourtant, il en a fait des dégâts à travers l’Europe, et jusqu’au Moyen-Orient, le Bonaparte, mais il reste un objet de culte, et ceux qui se prennent pour lui ne sont plus logés seulement en asile. Il arrive aussi que des personnes totalement étrangères à la France et à son empereur bien-aimé aillent jusqu’à se prendre pour Napoléon ressuscité, voire à comparer leur taille à la sienne. Oui, Bonaparte était petit, et même très petit, mais il a fait la grandeur de la France, selon ses admirateurs, chez qui l’on retrouvera sans étonnement des nostalgiques de l’Algérie de papa. Ils étaient donc tous là le 5 mai dernier pour commémorer le bicentenaire de la mort de Napoléon, ce qui est sans doute mieux que de célébrer sa naissance, peut-on penser à juste titre. Seulement, restituer les œuvres de Napoléon et la place qu’il occupe dans l’histoire de France ne fait pas oublier le rétablissement de l’esclavage, dont la journée a été célébrée le 10 mai. Autant dire la même semaine.
Or, Bonaparte, arrivé au pouvoir grâce à la Révolution française, l’a trahie pour la première fois(1) en annulant en 1802 la décision d’abolir la traite de l’esclavage, prise par la Convention en 1794. A l’origine de cette volte-face, des historiens citent l’influence du lobby colonial, et d’autres celle encore plus proche de son épouse martiniquaise, Hortense de Beauharnais, fille d’un planteur. Outre le silence sur l’une des facettes les plus controversées de Napoléon, à savoir qu’il était non seulement esclavagiste, mais aussi raciste,(2) on a aussi parlé de religion à son sujet. Alors que la France est en plein débat autour du projet de charte de l’islam que les associations intégristes rejettent, un chroniqueur décrié mais sincère pour une fois a invoqué Napoléon. Il a en effet suggéré que le gouvernement français pourrait imposer à la douzaine d’associations religieuses représentatives un modèle d’organisation comme celui qui gère le judaïsme. En 1807, Bonaparte réunit pendant plusieurs jours une assemblée des grands rabbins de France, à l’issue de laquelle ils devaient répondre clairement à une série de questions. Parmi ces questions les plus sensibles figuraient la polygamie, le droit pour une juive d’épouser un chrétien, et vice-versa, les juifs nés en France la regardent-ils comme leur patrie ?
Comme attendu, il y eut de vifs débats concernant les mariages mixtes, mais les rabbins répondirent finalement à l’unanimité aux questions posées et ce fut la naissance du judaïsme français. La question du droit de changer de religion sur laquelle se sont brisées de précédentes tentatives d’organiser l’islam de France reste pour les fondamentalistes un os dur à avaler. Étonnamment, le magazine électronique du Libanais Pierre Akel, Shaffaf, avait déjà évoqué en 2007 ce sujet de l’organisation du judaïsme français comme l’exemple à suivre. Il vient de le remettre en ligne en rappelant que le contexte n’est plus le même, c’est-à-dire que l’organisation de l’islam de France est une urgente nécessité, face à la montée du terrorisme. Elle l’était déjà il y a quatorze ans, parce que déjà à cette période, les Frères musulmans et les djihadistes travaillaient à instaurer des «ghettos islamistes», dont la voix était l’UOIF. Cette méthode de confrontation avec les autres religions est en contradiction avec l’islam historique qui s’est propagé surtout par son ouverture sur les autres religions et civilisations. Ceci alors que l’islam frériste et wahhabite(3) ne paraît pas être en situation de coexister avec les autres religions et civilisations, que ce soit en pays musulmans ou dans les pays d’exil.
Car, il est évident que Frères musulmans et wahhabites ne possèdent pas les clés du dialogue et du savoir-vivre ensemble avec les autres civilisations, parce que leurs croyances sont du moyen-âge.
Ce sont à peu près les mêmes questions posées par Napoléon aux juifs qui se posent aujourd’hui aux musulmans dans leurs pays et en Occident et qui peuvent se résumer à celle-ci: dans quelle mesure peuvent-ils dépasser leurs traditions pour s’adapter à leur siècle sans renoncer à leur foi et à leur vie spirituelle ? Autrement dit, pour bien faire les choses, il faudrait des dirigeants qui ne se prennent pas pour Napoléon, mais qui agissent comme lui, dans ses bonnes actions bien sûr, et il en eut.
A. H.
1) En fait, ce n’est pas son premier crime, puisqu’en 1804, il se fera proclamer et sacrer empereur de France, après un référendum avec 99,9% de oui. Ça ne vous rappelle rien ?
2) Bonaparte n’aimait pas les hommes de couleur, même s’il appréciait leurs femmes comme beaucoup de racistes. Il refusa de décorer le général Dumas, père de l’écrivain, après sa victoire sur les Autrichiens, parce que c’était le premier officier métis de la révolution, dont il a été la figure humaniste.
3) L’auteur observe qu’en 2007, personne ne se serait hasardé à penser qu’un jour, un haut dirigeant saoudien oserait parler de l’islam et des théologiens, comme vient de le faire Mohammed Ben Salmane.
Le soir d’Algérie