Décrétée par l’ONU et l’Union européenne, la mesure arrive à échéance le 18 octobre. Sa reconduction est un instrument essentiel pour rétablir ou maintenir la paix et la sécurité internationales soulignent, dans une tribune au « Monde », des parlementaires de la majorité et de l’opposition, dont d’anciens premiers ministres et d’anciens ministres des affaires étrangères ou de la défense, parmi lesquels Bernard Cazeneuve, Daniel Cohn-Bendit et Bernard Kouchner.
Tribune. Le système international est entré dans une phase chaotique. Les structures multilatérales qui constituaient l’épine dorsale de notre stratégie d’influence sont mises à mal. La pandémie a accéléré ce processus. Des dirigeants belliqueux cherchent à mettre à profit cette confusion grandissante pour étendre leur influence en menant une politique expansionniste et déstabilisatrice.
Face à ces immenses défis, la pire des attitudes consisterait à se défausser en tenant les instances multilatérales à l’écart des dossiers les plus sensibles, alors même que les contentieux non résolus fragilisent davantage ces dernières. C’est notamment le cas de la question de l’embargo sur les armes à destination ou en provenance de l’Iran imposé par l’Union européenne et les Nations unies en application de la résolution 2231 du Conseil de sécurité. Cet embargo arrive à échéance le 18 octobre. Sa non-reconduction serait une erreur stratégique majeure dont les répercussions se feraient sentir bien au-delà du Moyen-Orient et du sous-continent indien.
Parlementaires et responsables politiques issus de la majorité comme de l’opposition, nous sommes bien sûr attachés à l’autonomie stratégique de notre pays et tenons d’emblée à souligner que notre démarche ne consiste en rien à s’aligner sur la position défendue par l’actuelle administration américaine. Certains d’entre nous ont avec cette dernière des désaccords de fond. Pour autant, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les graves répercussions diplomatiques, sécuritaires et économiques que ne manquerait pas d’occasionner la levée de l’embargo sur les armes à destination de l’Iran.
Facteur de déstabilisation
Cette décision funeste contribuera tout d’abord à accroître les antagonismes au Moyen-Orient et constituera un nouveau facteur de déstabilisation dans une région qui traverse de graves crises. Dans ce contexte, la rivalité irano-saoudienne a pris, ces derniers mois, une tournure particulièrement inquiétante.
Ces deux puissances régionales s’affrontent dans un conflit indirect, mais de plus en plus violent, en Irak, en Syrie, au Yémen, ainsi qu’au Liban. Le risque de guerre ouverte est réel tant les facteurs qui alimentent cet affrontement sont nombreux : lutte pour le leadership régional, idéologies religieuses concurrentes et rivalité économique liée au marché des matières premières.
La levée de l’embargo sur les armes aura une deuxième conséquence majeure particulièrement néfaste pour la sécurité et la stabilité régionales. En permettant au régime iranien d’acheter librement des armes, mais aussi de les vendre et donc de les exporter, cette décision déclenchera inévitablement une course aux armements au Moyen-Orient. La nébuleuse de milices islamistes chiites que Téhéran arme, finance et entraîne en sera la principale bénéficiaire. Cette guerre par milices interposées exacerbe les fractures idéologiques et ethno-confessionnelles qui sont le terreau des conflits du Moyen-Orient.
En Irak et en Syrie, les milices chiites afghanes, irakiennes et pakistanaises ont perpétré nombre de massacres contre les populations civiles. Au Yémen, la guerre civile dans laquelle a sombré ce pays a permis à Téhéran d’accroître sa capacité de nuisance en fournissant à Ansar Allah, la rébellion islamiste houthiste, des missiles balistiques ainsi que des drones d’attaque.
Un obstacle à la médiation française
Dans la bande de Gaza, l’Iran a resserré ses liens avec les groupes terroristes islamistes palestiniens du Jihad Islamique et du Hamas, dont l’aventurisme militaire risque d’entraîner le territoire palestinien, déjà exsangue, dans une nouvelle confrontation avec Israël. Au Liban, le Hezbollah, bras armé de l’Iran au pays du Cèdre, est le principal obstacle à la médiation française.
Etat dans l’Etat, la milice chiite pro-Iran a pris en otage la population libanaise en faisant échouer l’avènement d’un gouvernement de mission indépendant qui aurait pu permettre à ce pays cher à nos cœurs de sortir d’une crise économique et financière sans précédent. En Afghanistan, l’Iran a accru son soutien à l’insurrection des talibans en fournissant entraînement, armes et financement aux fondamentalistes islamistes.
L’augmentation de l’approvisionnement en matériel militaire de pointe au profit des « proxys » pro-Iran pourrait également gravement mettre en danger nos troupes engagées sur les différents théâtres d’opération au Moyen-Orient. Cette menace est réelle et multiforme.
Nos forces terrestres, aériennes et navales sont présentes dans la région à travers l’opération « Daman » au Liban et « Chammal » en Irak et en Syrie. Notre pays est l’un des principaux pays contributeurs de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Or la menace constituée par la diffusion de capacités de frappe de précision et l’utilisation d’essaims de drones d’attaque par les milices pro-Iran posent un défi majeur et croissant pour la sécurisation de nos bases militaires, qui servent de soutien et d’appui à nos troupes dans la région.
Aveu de faiblesse
Notre pays pourrait également faire les frais, sur le sol national cette fois, d’une levée de l’embargo sur les armes à destination de l’Iran, car le régime des mollahs est fortement impliqué dans le soutien au terrorisme international. La justice belge vient à nouveau d’en apporter la preuve.
Il est désormais établi que le projet d’attentat terroriste qui visait une coalition de mouvements opposés à la dictature islamiste iranienne réunie le 30 juin 2018 à Villepinte, a « été conçu au nom de l’Iran et sous son impulsion », selon les mots du procureur fédéral. L’attentat avait été déjoué in extremis à Bruxelles, le jour même où la bombe devait être acheminée en France.
Enfin, la levée de l’embargo sur les armes porterait gravement atteinte à la crédibilité de la position européenne sur la question de la prolifération nucléaire et balistique. Une telle décision serait particulièrement malvenue, alors que l’Agence internationale de l’énergie atomique a récemment révélé que la République islamique détenait un stock d’uranium dépassant désormais de dix fois la limite autorisée par l’accord signé à Vienne en 2015.
Le manque de fermeté sur le volet conventionnel de l’armement iranien pourrait bien porter le coup de grâce à cet accord. La levée de l’embargo sur les armes serait immanquablement perçue par le régime comme un aveu de faiblesse. Elle donnerait de facto un blanc-seing à la théocratie iranienne pour renforcer sa politique d’ingérence régionale et encouragerait Téhéran à multiplier ses manquements à ses engagements sur le volet nucléaire.
Un rôle de médiateur
La France est un pays qui compte au Moyen-Orient. Nous possédons une rare combinaison de « soft power » – nous parlons à tout le monde – et de « hard power », incarné par notre présence militaire renforcée dans le golfe Arabo-Persique. Notre pays est donc apte à jouer le rôle de médiateur entre les belligérants qui pourraient permettre d’enclencher un processus de désescalade. Or la levée de l’embargo sur les armes confortera au contraire le régime des mollahs dans sa logique expansionniste en renforçant d’autant sa capacité de nuisance.
Opter en faveur de la solution de facilité consistant à tenter de régler la question de la limitation de l’arsenal de guerre iranien « à l’amiable », en l’absence d’un cadre juridique international contraignant, serait un leurre et pourrait avoir des conséquences désastreuses. Nous rappelons à ce titre qu’il existe actuellement quatorze embargos sur les armes imposés par le Conseil de sécurité́ en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Ces embargos sont un instrument essentiel pour rétablir ou maintenir la paix et la sécurité internationales.
L’Union européenne est le pilier du multilatéralisme et la France l’un de ses principaux garants. La défense du multilatéralisme repose sur la promotion d’une politique internationale soucieuse des droits humains, de la sécurité internationale et de la résolution pacifique des conflits. Ces objectifs sont tout simplement incompatibles avec la levée de l’embargo sur les armes à destination de l’Iran, qui augmentera le risque d’un conflit armé international.
Il est donc impérieux d’agir, et au plus vite. Nous demandons donc au gouvernement et au président de la République de prendre toutes les mesures nécessaires pour que l’embargo sur les armes soit prolongé et que l’Iran respecte tous ses engagements internationaux.
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Premiers signataires :Aurore Bergé, députée des Yvelines, membre de la commission des affaires culturelles, LRM ; Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre, ancien ministre de l’intérieur, PS ; Eric Ciotti, député des Alpes-Maritimes, questeur, LR ; Daniel Cohn-Bendit, ancien parlementaire européen ; Philippe Dallier, sénateur de la Seine-Saint-Denis, membre de la commission des finances, LR ; André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; vice-président de la commission des affaires européennes, LRM ; Meyer Habib, député des Français de l’étranger, vice-président de la commission des affaires étrangères, UDI ; Michel Herbillon, député du Val-de-Marne, vice-président de la commission des affaires étrangères, LR ; Bernard Kouchner, ancien ministre des affaires étrangères ; Christophe Lagarde, député de la Seine-Saint-Denis, président de l’UDI ; François Léotard, ancien ministre de la défense ; Guillaume Peltier, député de Loir-et-Cher, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, vice-président de LR ; Bertrand Sorre, député de la Manche, secrétaire de l’Assemblée nationale ; LRM ; Rachid Temal, sénateur du Val-d’Oise, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, PS ; André Vallini, sénateur de l’Isère, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ancien ministre, PS ; Manuel Valls, ancien premier ministre.