Il donne une dernière chance aux dirigeants pour sortir de la crise.
Le 1er septembre au palais présidentiel de Baabda à Beyrouth, Emmanuel Macron avait mis en garde l’ensemble des responsables politiques libanais, alors que le pays, meurtri par la tragique explosion du 4 août, avait besoin d’un «gouvernement de mission» hors des influences partisanes, pour redresser le Liban. «Je ne sais ce que donneront les prochaines semaines, je ne sais qu’une chose, si cet appel à s’élever au-dessus des intérêts particuliers n’est pas entendu, (…) la promesse sera trahie», avait-il déclaré, en allusion à l’appel lancé un siècle plus tôt par le général Gouraud à la fondation du Grand-Liban.
Dimanche soir, alors que la veille le premier ministre, Moustapha Adib, avait dû renoncer à former ce gouvernement de mission, Emmanuel Macron a tiré les leçons de ces quatre semaines où l’Élysée a tenté en vain de convaincre les uns et les autres d’honorer leurs engagements pris à Beyrouth. «J’ai honte pour vos dirigeants», a déclaré le chef de l’État lors d’une conférence de presse à l’Élysée. Le ton grave, prenant «acte de la trahison collective» de la classe politique, il a tenu des propos d’une rare violence, fustigeant «un système de corruption où tout le monde se tient parce que tout le monde a touché». Un système où «quelques dizaines de personnes sont en train de faire tomber le pays».
Le Hezbollah accusé
«Emmanuel Macron a eu le courage de nommer les responsables de cet échec», se félicite un ancien diplomate en poste à Beyrouth. D’abord le Hezbollah, la formation chiite, qui n’a fait, selon Macron, «aucune concession» dans son exigence d’obtenir le très juteux ministère des Finances, au profit de son allié Amal, du président du Parlement Nabih Berri. «Le Hezbollah ne doit pas se croire plus fort qu’il ne l’est», a averti le président de la République, qui l’accuse d’avoir imposé un «système de terreur». Ce parti, a ajouté Macron, «ne peut-être en même temps une armée en guerre contre Israël, une milice déchaînée contre les civils en Syrie et un parti respectable au Liban».
En termes moins rudes, il a également tancé l’ancien premier ministre (sunnite) Saad Hariri, qui a «commis une faute», en «ajoutant un critère confessionnel dans l’attribution des ministères». Ces mots très durs – aussi justes soient-ils – ne masquent-ils pas une impuissance, se demandent de nombreux experts? «Les gens s’attendaient à une réaction, potentiellement à une menace de quelque chose», confie un haut fonctionnaire libanais, déçu par Emmanuel Macron. Le chef de l’État a écarté des sanctions contre les dirigeants corrompus. Celles-ci «ne me paraissent pas être le bon instrument à ce stade», a dit Macron. Il avait pourtant brandi cette épée de Damoclès lors de ses deux voyages à Beyrouth. Sa temporisation surprend plus d’un observateur. Mais pour être efficace, l’outil des sanctions doit être partagé par les grands pays. Or les États-Unis, après avoir déclaré, début août, marcher «main dans la main» avec la France, ont dénoncé ensuite les contacts d’Emmanuel Macron avec le Hezbollah, pour finalement sanctionner deux ex-ministres, proches du camp chiite, ce qui crispa ce même camp. Bref, Washington donna l’impression de savonner la planche d’Emmanuel Macron.
Bilan dans six semaines
L’initiative française a souffert également d’un manque de coordination avec les pays européens. «Nous aurions aimé davantage de transparence», regrettait la semaine dernière un diplomate allemand. Pour combler cette lacune, Emmanuel Macron a annoncé une réunion d’ici à une vingtaine de jours du Groupe international de soutien au Liban. «À ce défaut de procédure s’ajoutait un problème de fond dans l’initiative Macron», estime le haut fonctionnaire libanais, qui la soutenait. «Il fallait anticiper quelque chose au cas où la classe politique dise non à Macron. On se rend compte que ce scénario n’a pas été étudié. Macron se retrouve avec un sabre de bois.» Dérisoire instrument face à des dinosaures qui jurent encore soutenir l’initiative française. «Comme la corde soutient le pendu», ironise l’ancien diplomate français.
Même si Paris va moins se mêler des tractations pour nommer un premier ministre et composer un gouvernement, Macron n’entend pas lâcher le Liban. Sa feuille de route des réformes reste sur la table. Il donne «une dernière chance» aux responsables de respecter leurs engagements, et dans «un mois, un mois et demi, nous serons obligés de faire le bilan (…) s’il n’y a aucune avancée, alors nous serons obligés (…) de poser la question de confiance: est-ce qu’un gouvernement de mission (…) est encore possible? Ou est-ce qu’il faut à ce moment-là changer la donne et aller peut-être dans une voie plus systémique de recomposition politique au Liban», a-t-il dit, ajoutant que ce serait une piste «très aventureuse».